D’un jardin à un autre jardin - messe du Jour de Pâques (Ac 10, 34a.37-43 – Col 3, 1-4 – Jn 20, 1-9)
Au-delà du torrent du Cédron, « il y avait là un jardin où Jésus entra avec ses disciples », après la Cène (Jn 18, 1), et, « à l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait là un jardin et, dans ce jardin, un tombeau tout neuf » (Jn 19, 41) : d’un jardin à un autre jardin (que Jean est le seul à mentionner), Jésus, Fils de Dieu, a vraiment habité parmi nous. La terre a recueilli ses larmes, absorbé son sang, accueilli son corps et, là, dans ce jardin, s’est réalisée la promesse du psalmiste : « Mon cœur exulte, mon âme est en fête, ma chair elle-même repose en confiance : tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. Tu m’apprends le chemin de la vie : devant ta face, débordement de joie ! A ta droite, éternité de délices ! » (Ps 15, 9-11). Le tombeau vide comme partie intégrante de l’annonce de la Résurrection se trouve être un fait conforme à l’Ecriture.
D’un jardin à un autre jardin, de celui des délices à celui des supplices, de celui des larmes à celui du repos, le Verbe de Dieu a visité notre terre avec amour et compassion. Dans le jardin du paradis, nos premiers parents perdirent la communion avec le Père et l’accès à l’arbre de vie. Pour le motif de l’amour, cependant, le Père ne les a pas abandonnés, ni eux, ni nous. Dans le jardin de la création, le Fils du Père devint le Verbe incarné pour s’unir à tout le cosmos. Et il nous révéla le chemin du retour au Père, un chemin qui passe par l’humilité, l’obéissance et la croix. L’homme se présentant comme l’axe spirituel de tout le créé, c’est lui qu’il fallait relever pour qu’avec lui, tout le créé retrouve son Créateur. Le Verbe de Dieu devint alors le nouvel Arbre de vie selon les mots de saint Bonaventure : « Le Verbe exprime le Père et les réalités qui, par lui ont été faites, et il nous conduit principalement avec le Père qui maintient toutes choses ensemble. De ce point de vue, il est ‘l’Arbre de vie’ car, par ce médiateur, nous retournons à l’authentique fontaine de vie en laquelle nous sommes revivifiés » (Hex., 1, 17).
D’un jardin à un autre jardin, s’écoule la fontaine de vie et s’élève l’Arbre de vie. Et là, au seuil de ce jour nouveau, le Christ, nouvel Adam, fait « éclater et embraser divinement l’écorce de la mort » [1] : là, dans ce jardin du jour nouveau, tout s’illumine. Alors que l’unité originelle était brisée et que l’homme, par sa faute, fut ce roi détrôné parmi tous les éléments de la création désorientés, « en Christ, la matière déchue redevient moyen de communion, temple et fête de la rencontre ». Car c’est bien tout le jardin qui accueille avec joie la Bonne Nouvelle que Marie-Madeleine, Pierre et l’autre disciple proclament. C’est par la création et dans la création désormais lumineuse, que chacun, restauré dans notre capacité de communion, nous pouvons cheminer vers le Père, par le Fils mort et ressuscité, et dans l’Esprit Saint.
Dans le jardin de la création, « là où il passait, [Jésus] faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui » (Ac 10, 38) : alors que « la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle », « merveille devant nos yeux » (Ps 117), nous retrouvons notre mission sacerdotale envers la création, entre Dieu et tout le créé ; une mission à approfondir, sans nous lasser, dans la lumière du Ressuscité. Cette mission, la liturgie la révèle particulièrement : le cosmos y entre par nous et, transfiguré en Christ, nous est découvert dans sa clarté. « A la vision résurrectionnelle du monde qui nous est demandée, sommes-nous finalement capables de proposer un vrai service désintéressé qui soit avant tout un authentique service pascal de la vie ? ». A la manière de François d’Assise, dans les Récits d’un pèlerin russe, l’auteur anonyme, en prière et en chemin, confie : « tout ce qui m’entourait m’apparaissait sous un aspect ravissant : les arbres, les herbes, les oiseaux, la terre, l’air, la lumière, tous semblaient me dire qu’ils existent pour l’homme ; tout priait, tout chantait gloire de Dieu ! » Aujourd’hui, unissons nos voix à celles de la création. La voie est ouverte. Amen.
Frère Eric Bidot, ofm cap, Pâques 2021