Frère Daniel vient de quitter la fraternité de Montpellier pour rejoindre celle de Crest, dans la Drôme. Cet ancien chef de gare a découvert sa vocation religieuse à travers des questions et des appels qui ont bousculé sa vie, son regard et son approche des pauvres. Il nous partage son itinéraire.
De quelle région es-tu originaire ?
De la région grenobloise. Je suis le second enfant d’une famille de neuf enfants. Mon père travaillait comme électromécanicien dans une entreprise de montage de bulldozers.
Quel a été ton itinéraire professionnel ?
Je suis entré aussitôt en usine après le BEPC ; il fallait gagner sa vie. J’ai commencé comme ouvrier, dans une entreprise de confiserie. A mon poste de travail, il faisait 40° en hiver. Et puis j’ai eu de la chance de trouver un travail un peu moins pénible et beaucoup plus intéressant. A 18 ans, j’ai réussi à entrer à la SNCF, dans la région grenobloise. Et j’ai terminé comme chef de gare dans une petite gare près de Grenoble. Pendant mes 22 ans de vie de cheminot, j’ai aussi été militant syndical, d’abord à la CGT puis à la CFDT, et représentant du personnel.
Et sur le plan de la foi religieuse ?
J’ai reçu une éducation chrétienne. Ma mère y tenait beaucoup : catéchisme, communion… Mais, comme la plupart des adolescents, vers 14 ans, j’ai tout abandonné jusqu’à l’âge de 40 ans.
Alors, peut-être en raison de ce qu’on appelle la « crise du milieu de la vie », j’ai commencé à me poser des questions. On voit ses parents qui commencent à vieillir. Soi-même, on prend conscience qu’on commence à prendre de l’âge. On est bien obligé de penser à la mort, de se poser des questions sur le sens de la vie.
Et puis une image m’a fortement impressionné, lorsque ma sœur a eu son petit garçon. Nous habitions dans un quartier très populaire. Quand j’ai vu ce petit gamin qui courait à quatre pattes au milieu des papiers gras et de saletés de toutes sortes, je me suis fortement interrogé : “Mais ce n’est pas ça un homme ! Un homme ce n’est pas fait pour ça ! Il y a autre chose qui fait qu’on est un homme.” Et à ce moment là, j’ai commencé à me sentir travailler de l’intérieur par Quelqu’un, quelqu’un qui a profité de la faille qui s’ouvrait en moi pour m’attirer à lui. Tous les souvenirs de catéchisme me sont revenus. J’ai redécouvert toute cette dimension intérieure de l’homme. Et j’ai recommencé à lire la Bible.
Tout seul ou avec un groupe ?
Tout seul. Je ne fréquentais pas beaucoup le milieu religieux ! J’ai passé des nuits à lire la Bible et des commentaires. Et puis est intervenu un moment clé : j’ai été frappé au cœur par une phrase de saint Paul, dans l’épître aux Romains, chapitre 8. Elle disait que toute la création aspire à la révélation des fils de Dieu, qu’elle aspire à être libérée, elle aussi, et que cela dépend de la conversion de chaque personne. J’ai été saisi : de moi, de ma manière concrète de vivre et de comprendre l’existence dépend que toute la création soit ou non libérée de la servitude et de la mort !
Déjà par mon chemin de conversion je participe à ce mouvement de vie qui tend à récapituler toute chose dans le Christ. Par sa conversion, par sa vie dans le Christ, l’homme a vocation à participer à la libération et à la transfiguration de chaque être, de chaque personne, de chaque créature dans le Christ. J’ai commencé à me dire : si c’est vrai, je ne pourrais plus continuer à vivre de la même manière ; ma conversion participe à quelque chose du retour de la création à Dieu. De moi, dépend quelque chose du bonheur des hommes, de l’univers, et même de Dieu.
Et c’est alors que tu as renoué avec l’Église ?
Non, d’abord avec Dieu, avec ce Dieu que me révélait ce Jésus-Christ des Évangiles et des lettres de Paul. Un Dieu Père qui, en même temps qu’il se faisait connaître, me révélait ma véritable identité.
Et puis, j’ai commis l’imprudence d’aller passer un triduum pascal chez les Clarisses de Voreppe. Et là, j’ai été saisi, au sens fort du mot, saisi par la personne même du Christ qui, j’en avais le sentiment fort, s’adressait personnellement à moi à travers les mots et les gestes de la liturgie. Il m’appelait à laisser tout ce qui faisait ma vie pour le suivre, à la manière de François et de Claire.
Tu connaissais déjà François d’Assise ?
J’avais découvert François d’Assise un peu par hasard. Dans une librairie, je suis tombé sur “Le retour à l’Évangile” d’Éloi Leclerc, livre dans lequel l’auteur décrit la vie de François, son chemin de conversion. Des correspondances avec ce que j’étais en train de découvrir ont alors résonné en moi. Ce qui m’attirait vers lui, c’était son côté « frère universel », voix de toute la création. Mais c’était aussi cet homme pleinement saisi par le Christ et acceptant de descendre avec lui au plus profond de la détresse humaine pour remonter avec lui tous les êtres à Dieu.
Comment as-tu connu les Capucins ?
J’habitais Grenoble. J’ai cherché à me rapprocher de franciscains résidant dans la région. J’ai trouvé une communauté des Capucins, qui n’existe plus maintenant. Et les choses sont allées très vite : quelques mois plus tard, j’ entrais au postulat en Suisse, à Saint-Maurice.
Quelles ont été tes découvertes ?
Cela a été pour moi un temps très fort, qui a changé ma façon de voir et de comprendre la vie et le monde, ma compréhension même de l’homme. Je travaillais à mi temps dans un centre de poly-handicapés profonds. Là j’ai vécu quelque chose de l’expérience de François « faisant miséricorde aux lépreux ». Découverte du pauvre, de Dieu dans le pauvre et d’un Dieu pauvre. J’y ai surtout fait l’expérience des sentiments profonds de Dieu envers l’homme et de l’être même de Dieu révélé par Jésus-Christ comme un Dieu Trinité, humble et pauvre, car don total de lui-même.
Cela a vraiment été pour moi une expérience fondatrice, un lieu de conversion profonde. Rien ne pourra être comme avant. J’ai toujours sur mon bureau une photo des jeunes poly-handicapés que j’ai eu l’honneur de servir. Ils restent pour moi mes véritables docteurs en théologie !
"J’ai toujours sur mon bureau une photo des jeunes poly-handicapés
que j’ai eu l’honneur de servir."
Et ensuite, tu as suivi le parcours de formation habituel.
Je suis entré au noviciat à Bourg en Bresse, où j’ai fait mes premiers vœux le 5 septembre 1998. Je suis parti alors pour deux ans à Saint Etienne : étape d’insertion fraternelle en milieu populaire. J’ai été bénévole dans un centre d’accueil du Secours catholique. J’y ai accompagné des groupes de handicapés mentaux.
En Septembre 2000, je suis parti à l’Institut d’Études Religieuses de l’Institut Catholique de Paris, tout en faisant de la catéchèse auprès d’enfants polyhandicapés. Le 22 Septembre 2001, je me suis engagé par profession perpétuelle dans l’Ordre des Frères Mineurs Capucins. Nommé en juin 2003 à la fraternité de Francheville, près de Lyon, j’ai demandé à pouvoir me préparer au ministère presbytéral.
Je suis entré alors en septembre 2003 au séminaire Saint-Irénée de Lyon, puis j’ai continué ma formation à la faculté de théologie de Strasbourg. J’ai été est ordonné diacre le 21 mai 2006, au couvent d’Angers. Et je suis arrivé à la fraternité de Montpellier en août de la même année.
Là, j’ai été est accueilli par la paroisse Notre Dame de la Paix où j’ai effectué une année de stage diaconal : temps d’apprentissage et de vérification de ce ministère en tant que frère mineur capucin. Un ministère qui signifie et porte le Christ serviteur auprès des plus petits et des plus éloignés.
Quel est le cadre de vie de la fraternité de Montpellier ?
La fraternité de Montpellier vit en appartement au milieu d’un quartier populaire, le quartier des « Cévennes », dans un milieu fortement peuplé par des Français d’origine immigrée. Ils sont musulmans, à 80 % d’origine marocaine.
J’y comprends ma présence d’abord comme un temps de ré-apprentissage : “Vous qui vivez d’une certaine manière simple, apprenez-nous, à nous Capucins, ce que ça veut dire vivre d’une manière simple”. C’est une sorte d’inversion des rôles : je suis venu me mettre à leur école. Il se trouve qu’ils sont en même temps musulmans. Mais l’essentiel, pour moi, c’est qu’ils appartiennent à un milieu populaire et qu’ils peuvent nous réapprendre ce que veut dire « vivre d’une manière simple ».
Qu’est-ce qui t’a poussé à devenir frère prêtre ?
Quelqu’un ! Celui qui m’a appelé à changer de vie, celui qui m’a appelé à la vie religieuse de frère mineur capucin : Le Christ. Mon ordination n’a pas d’autre sens que la réponse à un appel de Dieu sur moi. Elle s’inscrit pleinement dans ma vocation de frère capucin. Dans l’esprit de François, j’ai été saisi par ce grand appel à la réconciliation fraternelle.
Je vois d’abord mon ministère de prêtre comme un ministère de réconciliation, d’amitié et de compassion au nom de Jésus-Christ ; une invitation à faire l’expérience de la rencontre avec Jésus-Christ, tendresse et compassion de Dieu pour les hommes et de permettre au Christ de se donner à eux et de les conduire au Père, pour le bonheur de Dieu et des hommes.