Le généralat de frère Élie (1232-1239)
Frère Élie assura la direction de l’Ordre jusqu’au Chapitre de 1227, où fut élu général le provincial d’Espagne Jean Parenti (1227-1232).
On a beaucoup discuté sur la personnalité d’Élie de Cortone. Si l’on s’en tient à la majorité des anciens chroniqueurs, son gouvernement fut dans l’ensemble funeste pour l’Ordre. Les auteurs modernes au contraire le considèrent comme un homme génial, victime de l’incompréhension et de mesquineries partisanes ; selon ces derniers, on ne pourrait lui faire qu’un reproche, celui de l’orgueil qui l’empêcha de supporter avec dignité sa disgrâce. Il faut en convenir, l’Ordre lui doit beaucoup, et sa façon énergique et autocratique de le prendre en main fut même providentielle dans ce premier élan vers l’évolution ; son adversaire le plus impitoyable, Salimbene d’Adam, signale tout de même, parmi les treize chefs d’accusation, une qualité digne d’éloge, celle d’avoir encouragé les études de théologie dans l’Ordre.
Il est indéniable que frère Élie avait joui de la confiance de François, peut-être parce que celui-ci, comme le fait observer Renan, admirait en cet organisateur génial les dons que lui-même ne possédait pas. Par la loi du contraste, Élie aimait sincèrement le saint charismatique et imprévoyant. Il voulait son Ordre grand et puissant. Sa première ambition fut de faire du fondateur, plus qu’un modèle à imiter, une gloire pour l’Ordre ; dans ce but il voua une attention particulière à la réalisation du monument grandiose que sera la basilique qui conservera ses restes, et du Sacro Convento. Il aurait voulu rivaliser avec les grandes abbayes bénédictines et, de fait, sa façon de gouverner ressembla plus à celle d’un abbé qu’au style dépouillé d’un « ministre et serviteur » agissant pour l’utilité commune, tel que l’avait décrit François dans la Règle. Son influence personnelle sur le pape Grégoire IX et sur l’empereur Frédéric Il fut très grande.
Centralisateur comme il l’était, il n’avait cure de visiter en personne les Provinces, mais il déléguait des visiteurs désignés par lui et investis des pleins pouvoirs, ce qui provoquait chez les ministres une inquiétude continuelle. D’autorité, il porta le nombre des provinces à soixante-douze, créant ainsi une véritable armée de fonctionnaires qui dépendaient directement de lui. Dans la répartition des fonctions, il donnait d’une manière choquante la préférence aux laïcs, plus faciles à dominer. Il s’appuyait sur les attributions quasi illimitées que lui accordait la Règle ; certes elle lui faisait un devoir de rendre compte de ses activités auprès du Chapitre général ; mais il ne se soucia jamais de le convoquer. Il exerça un pouvoir absolu, faisant les nominations, transférant les frères, destituant à sa guise les ministres et les custodes. Il développa les couvents d’études et seconda puissamment les initiatives du Saint-Siège en faveur des missions d’Orient.
Frère Élie sut prendre ses distances avec les frères « zélants » ; il les dispersait et les punissait durement. D’autre part, son système personnel de gouvernement et la pression incessante auprès des provinciaux pour payer les travaux d’Assise finirent par exacerber tous les frères. Les ministres des Provinces transalpines fomentèrent une sédition avec, à leur tête, Aymon de Faversham qui se rendit à Rome avec une commission pour dénoncer le général et demander sa déposition ; presque toutes les Provinces s’associèrent à cette démarche. Frère Élie s’efforça de conjurer cette menace ; mais en vain.
Le Chapitre général convoqué par Grégoire IX, qu’il présida, se tint à Rome en 1239. Frère Élie fut déposé et à sa place fut élu Albert de Pise, provincial d’Angleterre. Afin d’éviter de renouveler l’expérience d’un régime autoritaire, le Chapitre prit des décisions très importantes pour l’avenir de l’Ordre, en promulguant les premières Constitutions qui réglaient la vie des frères, surtout en ce qui concerne le gouvernement.