Exhortation de François à méditer continuellement la Passion
Sans doute après une telle expression du mystère de la Croix au corps et en l’âme de l’ami de Jésus-Christ François, cet homme crucifié avait droit de la prêcher aux autres pour en inculquer la mémoire.
Aussi était-ce le sujet ordinaire de ses entretiens et le thème qu’il prenait pour enseigner le chemin de la perfection à ses enfants spirituels, auxquels il tenait souvent ce discours avec une grande ferveur d’esprit :
" Souvenez-vous toujours, mes très chers frères, de la voie de l’humilité et pauvreté de la Croix, par laquelle notre Sauveur Jésus-Christ nous a conduits ; considérant que s’il a fallu que sa divine Majesté entrât dans sa gloire par le moyen de cette sienne Passion, il nous est beaucoup plus nécessaire, à nous détestables pécheurs, de cheminer dans la voie de la souffrance.
Que si tout fidèle chrétien y est obligé, nous le sommes beaucoup davantage, nous, dis-je, qui faisons profession de suivre la Croix, laquelle Dieu veut que non seulement nous portions, mais que, par notre exemple et notre doctrine, nous fassions encore porter aux autres et que nous les attirions après nous, pour suivre avec eux celui qui est notre guide.
De plus, la bonne volonté d’imiter la Passion de Notre Sauveur est une grâce spéciale que le saint Esprit fait à l’âme qui sert et aime Dieu en vérité.
Car l’âme qui est propriétaire et amie d’elle-même, ne goûte, mais répugne à cette doctrine du Saint Esprit, ne réputant cette participation de la Passion de Notre Dieu nécessaire à la perfection ; mais même prétendant vouloir faire un plus grand profit par d’autres voies, non voies mais précipices couverts ; fuyant le fiel des tribulations et l’amertume de la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ, elle tient son cœur submergé et aveuglé en l’amour propre, par d’autres pensées naturelles et volontaires, assurant qu’elle sert mieux Dieu en cette liberté de vie, ne se souciant des plaisirs et contentements infinis que reçoit intérieurement l’âme en cette contemplation et compassion de son Dieu, d’autant qu’ils ne se peuvent goûter qu’en pâtissant pour lui.
Mais l’âme purgée et du tout privée de la recherche de ses propres intérêts, se laisse guider au Saint Esprit, à ce qu’il opère en elle à son bon plaisir, comme très bon Maître de la doctrine singulière que Notre Seigneur laissa écrite dans les livres de son humilité, patience et Passion, voies certaines de la perfection chrétienne. C’est pourquoi l’âme qui obtient de lui plus de pureté, cherche aussi de se transformer en ses douleurs, réputant toutes les autres voies pour viandes mortelles, et cette seule pour médecine amère au goût mais très plaisante en son fruit, très douce en son opération.
Ainsi postposant la saveur à la santé, elle éprouve combien ce goût de la vie éternelle est admirable, pour avoir refusé le premier qui n’est que passager, caduc et mortel. Car elle expérimente que son amour ne se trouve mieux établi, ni perfectionné en aucun autre sujet que dans l’imitation de la Passion charitable, et que d’autant plus elle se transforme en Jésus-Christ crucifié, plus aussi elle se transforme en Dieu haut et glorieux ; d’autant que l’humanité ne se peut séparer de la Divinité et lui-même le requiert en grâce à son Père, lorsqu’il dit : " Je veux que les miens soient où je suis ".
Et ainsi l’âme contemple l’un et l’autre état de son Dieu, à ce qu’elle ne soit jamais séparée de lui, comme effectivement elle s’en retirerait si elle fuyait de contempler et d’imiter la Passion selon les paroles de saint Paul : Qui ne compatit, ne règnera point avec lui. Elle le considère donc mortel et immortel, l’un des quels états appartient à ceux qui courent et l’autre à ceux qui ont remporté le prix. Or comme l’on ne donne point de prix qu’à ceux qui courent, aussi le ciel ne se donne qu’à ceux qui portent la Croix, car il n’est pas raisonnable que le serviteur soit préféré au Seigneur, ni le Disciple au Maître.
C’est pourquoi on voit que Dieu communique sa grâce à ceux qui le suivent en la susdite manière, et au contraire qu’il l’ôte à ces âmes présomptueuses qui disent se vouloir joindre à lui par d’autres voies chimériques et néanmoins ne sortent jamais d’elles-mêmes, ce qui est la cause qu’elles tombent enfin dans le précipice. "
Jusqu’ici sont les propres termes dont se sert notre Séraphique Père saint François pour exciter un chacun, mais particulièrement ses Enfants, à la continuelle méditation de la sainte Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ. Où il nous montre sa sublimité, le mérite et la sûreté qui se trouvent dans ce divin exercice ; comme, tout au contraire, il découvre les tromperies et les périls qu’encourent ceux qui le quittent pour en prendre d’autres parce qu’ils reviennent davantage à leur esprit naturel.
Paul de Lagny
Méditations religieuses pour le soir (1663)
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