Accueillir ses amis donne toujours du bonheur, pour leur arrivée tout doit être signe de joie : fleurs, décoration de la table, le repas. Avec eux c’est la vraie fête. Mais si une personne proche moins sympathique se propose de venir nous rendre visite, sa venue ne provoquera sans doute pas l’ enthousiasme. Par politesse, on fera un effort, sans spontanéité et même en maugréant. Parfois l’invention d’une excuse permettra de prétexter une impossibilité et le rendez-vous sera repoussé à plus tard.
Accueillir n’est jamais une évidence, cela dérange toujours. Nous acceptons volontiers recevoir à condition que l’autre ne soit pas trop différent. La diversité peut faire surgir impatience, énervement , agressivité, rejet. Très vite alors nous touchons les limites de notre tolérance. En ce sens nous sommes tous des intolérants.
Mais alors résonne en nous cette parole de Jésus à ses disciples : Si vous n’accueillez que vos amis, que faites vous là de particulier, les païens n’en font-ils pas autant ?
La vie de Saint François nous montre le combat qu’il a du mener pour devenir le frère de tous. Marqué par son origine sociale il avait des comportements d’intolérant. Il ne pouvait supporter la proximité des lépreux. Avec tous les jeunes de son temps il rêvait d’éliminer le Seigneur de la Rocca d’Assise et toutes les grandes familles réfugiées à Pérouse. Parmi elles la famille de Claire. François n’était pas né tolérant et pacifique. Les autres trop différents, il fallait les ignorer, les fuir et même les éloigner de force. Cela ne l’empêchait pas de temps à autre de donner quelques pièces à un pauvre qui le harcelait trop, plus par compassion et amitié.
La tolérance, l’accueil suppose un combat parfois violent au dedans de nous-mêmes pour modifier notre regard, notre coeur. François va puiser dans la prière et la contemplation la force nécessaire pour mener cette lutte.
Peu à peu il découvre combien le Christ est patient et tolérant dans tout l’Évangile. Lui, le saint, il accepte la présence des pécheurs et même plus il aime leur compagnie. Lui, le juif, il accepte le harcèlement de la Cananéenne ou les supplications du centurion Romain. il se laisse toucher le cœur. Il est sans agressivité contre celui qui le trahi et ceux qui le font souffrir. C’est là pour François un visage du Christ qui l’émerveille, l’incite à l’action de grâces mais aussi le provoque à lui ressembler à tel point que cette attitude d’accueil deviendra primordiale dans sa vie et celle de tous ceux qui voudront avec lui vivre la fraternité. La fraternité est pour lui le lieu où la différence à droit d’exister à condition que chacun accepte la réciprocité et ne veuille pas peser sur son frère.
Les épisodes de la vie de François concernant l’accueil et la tolérance sont très nombreux. Retenons seulement l’histoire qui s’est passé à l’ermitage de Poggio-Bustone ou des frères, pourtant remplis de prière se divisent à propos de quelques brigands bien connus qui viennent quêter à la fraternité. Pour les uns les recevoir c’est cautionner leur attitude de violence. Pour les autres les rejeter ce n’est plus être évangélique. Que faire ?
François va inviter les uns et les autres à modifier leur regard sur ces hommes. Ces brigands ne seraient ils pas des hommes capables eux aussi de faire du bien si on leur en donnait la possibilité ? Alors François va proposer à ses frères une manière d’agir très concrète, pédagogique et progressive, pour les inciter à se transformer et à leur montrer qu’ils sont, comme tous les autres, capables d’une autre relation que celle de la violence (Légende de Pérouse, 90). Ce récit amusant est porteur d’un fort message de tolérance et d’accueil que nous pourrons transposer dans notre vie personnelle de tous les jours. Tout approche d’une personne ne peut se réaliser en un seul jour, il y faut du temps de part et d’autre pour changer son regard et s’habiller le coeur d’un peu de sympathie. Les frères ont du, dans un premier temps, se mettre d’accord ensemble, se rallier à une position commune puis vaincre leur peur pour sortir de l’ermitage et s’aventurer dans la forêt. Ils ont du prendre sur leur propre nourriture pour partager avec des voleurs, des bons à rien, des violents. De leur côté les brigands ont du désamorcer leur soif de violence, leur désir de détrousser les passants s’ils voulaient que les frères continuent d’apporter une nourriture régulière et de plus en plus raffinée. Il fallait que les deux antagonistes rentreent dans une démarche de conversion. L’un doit prendre l’initiative et commencer mais parfois il faudra attendre que l’autre, un jour, accepte les avances proposées. Tout cela réclame force, patience, délicatesse, miséricorde. La prière et la présence des frères peuvent aider à demeurer dans ces dispositions sans découragement ni désespoir.
L’évangélisation passe tout d’abord par ces attitudes très simples que François recommandait à ses frères. Ne disait-il pas à tous ceux qui partaient en mission chez les infidèles, chez ceux qui étaient très différents par la religion et la culture, que leur première démarche devait être de vivre d’abord en bons chrétiens au milieu d’eux. L’accueil et la tolérance sont les caractéristiques des baptisés en Christ et les premiers pas sur le chemin qui mène à la charité, à la découverte de l’autre comme frère. Chercher à combattre l’intolérance c’est faire grandir la fraternité universelle et participer à la construction de ce monde nouveau basé sur l’évangile.
Fr. Richard Moriceau