Une époque troublée
François appartient à son temps et nous ne pouvons pas ignorer le contexte religieux qui a eu un profond retentissement sur sa vie. Dans une époque troublée, la ferveur diminuait et la chrétienté devait demeurer vigilante. En réaction, de nombreux groupes évangéliques naissaient et certains ont basculé dans l’hérésie. Citons les Cathares et les Vaudois parmi les plus connus de ces mouvements sectaires. Le catharisme fut chrétien dans ses sources, mais prit distance vis-à-vis de la foi chrétienne en créant sa propre doctrine. Les Vaudois, quant à eux, furent d’ardents prédicateurs, mais ils subirent la critique du clergé qui leur opposait la règle canonique interdisant aux laïcs de prêcher.
Dans le cadre de notre réflexion, il suffit de mentionner une profonde crise eucharistique que traversait la foi des fidèles. Elle fut alimentée par les doctrines sectaires et constitua un puissant frein : les gens assistaient à la messe sans communier. Les Vaudois reprochaient aux prêtres un certain relâchement moral et leur refusaient le pouvoir de confesser et de consacrer. Les Cathares se montraient fidèles à leur intuition fondamentale en niant la présence réelle, car ils n’admettaient pas que le corps du Christ ressuscité soit soumis aux vicissitudes de la matière. Dans ce climat agité, les Pères du IVe Concile de Latran (1215 ) ont ressenti le besoin de proposer un texte législatif plus ferme. Ainsi le canon 21 impose la communion une fois par an : « Tout fidèle de l’un et l’autre sexe qui a atteint l’âge de raison devra confesser ses fautes au moins une fois chaque année et recevoir dévotement au moins à Pâques le sacrement de l’eucharistie »
Itinéraire d’approche
François fut imprégné des décisions du Concile et voulut les communiquer à ses frères. Ses écrits contiennent un nombre impressionnant de recommandations relatives à l’Eucharistie. Et l’influence du Concile est manifeste ( respect dû aux prêtres, soin apporté aux objets du culte). De plus, François était fasciné par ce mystère avec lequel il entretenait un rapport passionné. Ne l’approchait-il pas avec un regard de foi très éveillé ?
Mettons-nous donc en route aux côtés de François, car il est intéressant de considérer le chemin parcouru en direction de ce mystère. L’année de sa mort, François a rédigé son Testament qui présente sobrement des événements lui apparaissant essentiels au soir de sa vie. La première image qui lui vient à l’esprit représente le fameux « baiser au lépreux » et situe le moment décisif de sa conversion. Nous savons qu’il revêtit l’habit de service et se mit à soigner les exclus de tout son cœur. La rencontre des lépreux avait éveillé sa compassion et il devint capable de miséricorde. Cette expérience de proximité détermina sa décision de rompre avec les valeurs du monde et de s’attacher au Christ.
La deuxième image nous situe dans la perspective d’une rencontre. Dans le cadre de l’Église de St Damien, elle oriente vers Celui « qui a racheté le monde par sa sainte Croix ». Là François partagea la vie du prêtre desservant et assista quotidiennement à la sainte Messe. Ce contact prolongé éveilla son regard de foi à la spécificité du ministère sacerdotal. Pour François, celui-ci est indissolublement lié au Sacrement du Corps du Christ. Le Testament est éloquent à cet égard : « Si je fais cela (respecter, aimer et honorer les prêtres, c’est uniquement ...) La personne du Christ y est présente et François la rejoint ici plus que partout ailleurs.
Fr Benoit Lhote
Voici comment le Seigneur me donna, à moi frère François, la grâce de commencer à faire pénitence. Au temps où j’étais encore dans les péchés, la vue des lépreux m’était insupportable. Mais le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux ; je les soignai de tout mon cœur ; et au retour, ce qui m’avait semblé si amer s’était changé pour moi en douceur pour l’esprit et pour le corps. Ensuite j’attendis peu, et je dis adieu au monde.
Et le Seigneur me donna une grande foi aux églises, foi que j’exprimais par la formule de prière toute simple : Nous t’adorons Seigneur Jésus-Christ, dans toutes les église du monde entier, et nous te bénissons d’avoir racheté le monde par ta sainte Croix.
Ensuite, le Seigneur m’a donné et me donne encore, à cause de leur caractère sacerdotal, une si grande foi aux prêtres qui vivent selon la règle de la sainte Église romaine, que, même s’ils me persécutaient, c’est à eux malgré tout que je veux avoir recours. Si j’avais autant de sagesse que Salomon, et s’il m’arrivait de rencontrer de pauvres petits prêtres vivant dans le péché, je ne veux pas prêcher dans leurs paroisses s’ils m’en refusent l’autorisation. Eux et tous les autres, je veux les respecter, les aimer, les honorer comme mes seigneurs. Je ne veux pas considérer en eux le péché ; car c’est le Fils de Dieu que je discerne en eux, et ils sont réellement mes seigneurs.
Si je fais cela, c’est parce que, du très haut Fils de Dieu, je ne vois rien de sensible en ce monde, si ce n’est son Corps et son Sang très saints, que les prêtres reçoivent et dont ils sont les seuls ministres. Je veux que ce très saint sacrement soit par-dessus tout honoré, vénéré, et conservé en des endroits précieusement ornés.
Saint François, Testament (1-11)