François et l’eucharistie (3)

Un chemin de libération


François assistait quotidiennement à la sainte messe et il pouvait libérer le désir de son cœur amoureux devant le mystère d’un Dieu qui s’approche et se rend accessible. Ne considérait-il pas ce sacrement comme le prolongement de l’incarnation ? En conséquence, il insistait sur la nécessité d’emprunter le chemin de la foi qui fut celui des Apôtres. Ceux-ci avaient vu le corps de Jésus avec leurs yeux de chair. Mais, dans la lumière de l’Esprit, ils avaient vu et cru à la présence du Fils de Dieu. Dans la clarté nouvelle qu’offre le regard de foi, la contemplation de François devint la source d’un émerveillement.

La source d’un émerveillement

La Présence vivante et personnelle du Seigneur fondait sa foi eucharistique. Elle demeurait mystérieuse dans son mode, mais le fait était assuré par la Parole et confirmé par son expérience intime. Le contexte de la vie de l’Église expliquait en partie son insistance sur la réalité de la Présence du Seigneur dans le sacrement, mais son expérience lui apportait des arguments pour asseoir cette conviction.
En effet, François mettait la priorité dans l’amour et cherchait moins à comprendre qu’à se laisser saisir. Aussi l’épreuve de cette mystérieuse proximité du Seigneur le comblait. Thomas de Celano, voulant souligner sa dévotion au Corps du Seigneur, nous le suggère : « La ferveur pour le sacrement du Corps du Seigneur était en lui très profonde.Il n’en finissait pas de s’émerveiller à la pensée d’une bonté si aimante et d’un amour si bon. » ( 2Cel. 201)
Il a aussi exalté l’humilité de Dieu avec des gestes concrets. En décembre 1223, François voulut célébrer Noël d’un manière sensible en reconstituant la crèche vivante : « Je veux, disait-il, évoquer le souvenir de l’enfant qui naquit à Bethléem » (1Cel. 84) Cette idée naïve exprimait une sensibilité soucieuse de se laisser saisir par l’objet contemplé. Dans son esprit, la correspondance avec l’Eucharistie semblait claire. Thomas de Celano note qu’après s’être émerveillés ensemble, tous assistèrent à la messe qui fut dite « sur la mangeoire comme autel ». L’autel était associé à la crèche et il s’agissait simplement d’accueillir la substance du mystère célébré.

Voir et participer

Nul doute que François reçut la grâce d’un émerveillement, mais sa contemplation ne se limitait pas à cet événement. Le parallèle développé entre l’Incarnation et l’Eucharistie n’épuisait pas le sens donné à son expérience. François n’a pas élaboré un discours théologique, mais intuitivement il savait l’Eucharistie inscrite dans un dynamisme qui ouvrait un chemin de libération pour toute l’humanité. L’autel était aussi associé à la croix et la célébration eucharistique l’orientait vers l’amour manifesté par la Passion. François « connaissait le Christ pauvre et crucifié ». Et il n’est pas nécessaire de présenter l’expérience de Saint Damien ou celle de l’Alverne pour nous en convaincre. Ainsi le sacrement rendait présent le Seigneur dans la totalité de son mystère, en récapitulant l’histoire d’une vie offerte pour notre salut. Il suffit d’évoquer sa Lettre aux Fidèles dans laquelle il enchaîna quelques événements majeurs de l’histoire du salut. Ne situait-t-il pas la Cène au cœur d’une séquence dont l’Incarnation et la Passion constituaient les temps essentiels ?

François reconnaissait dans l’Eucharistie l’offrande volontaire du Christ à la dernière Cène. Et cela « l’empoignait tellement qu’il pouvait à peine penser à autre chose ». Le sacrifice du Seigneur rendu présent dans la célébration constituait effectivement le témoignage suprême de l’amour. Mais François ne réduisait pas sa participation à la seule pensée. Il s’associait mystérieusement au sacrifice du Seigneur donnant sa vie pour les siens et il invitait ses frères à reproduire ce geste d’offrande sans réserve : « Voyez, frères, l’humilité de Dieu, et répandez vos cœurs devant lui... Ne retenez donc pour vous rien de vous, afin que vous reçoive tout entiers celui qui se donne à vous tout entier »

Fr Benoît Lhote









Voyez frères l’humilité de Dieu

Voyez votre dignité, frères prêtres, et soyez saints parce qu’il est saint. Et de même que le Seigneur Dieu vous a honorés par-dessus tous à cause de ce ministère, de même vous aussi aimez-le, révérez-le et honorez-le par-dessus tous. Grande misère et misérable infirmité quand vous l’avez ainsi présent et que vous vous souciez de quelque autre chose au monde. Que l’homme tout entier craigne, que le monde entier tremble, et que le ciel exulte quand le Christ, Fils du Dieu vivant, est sur l’autel dans la main du prêtre ! O admirable profondeur et stupéfiante faveur ! O humilité sublime ! O humble sublimité, que le Seigneur de l’univers, Dieu et Fils de Dieu, s’humilie au point de se cacher pour notre salut sous une modique forme de pain ! Voyez, frères, l’humilité de Dieu, et répandez vos cœurs devant lui ; humiliez-vous, vous aussi, pour être exaltés par lui. Ne retenez donc pour vous rien de vous, afin que vous reçoive tout entiers Celui qui se donne à vous tout entier.
Lettre à tout l’Ordre, v.23-29