Pensée continuelle de la Passion chez François
Ce fut l’exercice que notre Séraphique Père saint François prit le plus à cœur dans tout le cours de sa vie, depuis le commencement de sa conversion jusqu’à sa mort, quand on remarque que Dieu le conduisit toujours dans le chemin de la Croix, et que lui s’étudia de ne se point servir d’autres lumières que de celles de Jésus Crucifié, qu’il portait toujours gravé dans son esprit par la pensée, comme un petit vaisseau de myrrhe, et auquel il recherchait de se conformer en toutes choses, par l’imitation de ses vertus, ainsi qu’écrit saint Bonaventure dans l’histoire de sa vie. Cette continuelle pensée de la Passion de notre Seigneur avait tellement gagné le cœur de son serviteur François, qu’il fuyait toutes les consolations temporelles afin de souffrir avec lui toutes les incommodités de cette vie. C’était dans la vue de cette sainte Passion, qu’il faisait tant de jeûnes, tant de veilles, tant de disciplines, tant de pèlerinages et tant de pénitences que son corps en demeurait notablement affaibli. Et comme il fut une fois devenu aveugle à force de pleurer, un supérieur de l’Ordre lui demanda pourquoi il ne faisait point lire quelque Livre spirituel pour récréer saintement son esprit durant sa maladie. A quoi le saint homme répondit : " Mon frère, je trouve toujours tant de consolation et d’amour, en la méditation de la Vie et Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ que si je vivais jusqu’à la fin du monde, il ne me faudrait pas d’autre lecture ". Un autre jour se trouvant tout transporté de douleur dans le ressouvenir de la sainte Passion de son doux Jésus-Christ, et ne pensant pas être entendu, il s’écria à haute voix, comme si alors il eût vu mourir. Sur ces entre faits, un honnête homme craignant Dieu et qui lui avait été familier au monde, vint à passer par où était le saint Père, auquel il demanda quelle disgrâce lui était arrivée. Saint François lui répondit en pleurant : " Je me plains et déplore les griefs tourments que les cruels Juifs ont fait souffrir à mon Seigneur Jésus-Christ ; mais je pleure d’autant plus amèrement que je vois que tout le monde, pour qui il a tant enduré, semble avoir oublié un si grand bienfait. " Et puis se taisant, il commença à reverser une grande abondance de larmes, de sorte que le gentilhomme qui était venu pour le consoler, se mit aussi à pleurer la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, avec son serviteur François.
Enfin le serviteur de Dieu François ne cessa point de méditer et d’imiter la douloureuse Passion de son Sauveur qu’il ne se vît honoré de ses plaies, que Jésus-Christ lui-même sous la forme d’un Séraphin, lui imprima aux mains, aux pieds et au côté, comme un gage de son amitié et pour marque de la parfaite conformité de son âme avec la sienne, autant qu’il en était capable.
Paul de Lagny
Méditations religieuses pour le soir (1663)
Avant propos