Joseph Prabu, un frère indien à Blois


Sur la porte une image avec ces mots du psaume :« Ta Parole est la lumière de ma vie. » C’est clair.

Je frappe : toc ! toc ! toc ! Pas de réponse… C’est que Fr. Prabu est très occupé : aumônier de l’hôpital civil de la ville de Blois ; jardinier en chef ; cuisinier à son tour ; homme de main pour tous les travaux de force à la Basilique ou à la maison ; il n’est pas rare de le voir aussi, serpillière en mains, laver la cuisine ou le réfectoire.
Huit jours plus tard, je frappe de nouveau : toc ! toc ! toc !
– « Oui, entrez ! » – « Bonjour Prabu, auras-tu le temps de répondre à quelques questions pour nos frères ? » « Volontiers. »

« D’abord parle-moi de ton pays natal. »

– « Moi, je suis un montagnard. Au Sud-Ouest du Tamil Nadu il y a une magnifique chaîne de montagnes, la montagne bleue, le Nilgiris, 2500 mètres d’altitude, très fertile avec des plantations de thé et de café. C’est un lieu touristique très visité avec sa rivière, (la Bavanu Sagar) et sa cascade (Catherine).

Mon grand père paternel avait des terres dans son pays natal ; il a donné le terrain pour construire l’église paroissiale dédiée à Notre Dame de la Santé, très honorée dans notre région. Depuis, beaucoup de gens sont venus d’ailleurs pour cultiver la terre, si bien qu’aujourd’hui on trouve plusieurs tribus dans la montagne. Mais autrefois la Bagada était la tribu la plus importante

Je suis né à Kotagiri dans les hauteurs à plus de 2400 mètres. Je suis tamul, le deuxième d’une famille de cinq enfants et le seul garçon. Ma sœur cadette est religieuse franciscaine, deux autres sont mariées et la plus jeune poursuit ses études pour être infirmière ; mon père travaillait dans une usine d’armement et, après sa retraite en 2005, mes parents ont quitté la montagne et sont venus dans la plaine où ma mère prête son concours dans une petite école mais je retourne toujours là-haut dans ma paroisse où sont encore tous mes copains d’école et la fraternité des capucins !

« Te souviens-tu d’avoir été à l’école ? »

Bien sûr ! il y avait deux écoles à notre paroisse mais j’ai fait tout mon primaire à l’école protestante ; pourquoi ? je n’en sais rien ; j’y suis resté jusqu’à 12 ans comme tout le monde puis j’ai été au collège ; là je dois dire que j’aimais mieux les activités sportives que les classes. J’étais le champion du 100 mètres et passionné de foot-ball aussi, à la fin, pour obtenir mon « bac » j’ai dû redoubler une année.. Pendant sept ans, j’ai fait partie du Tiers Ordre si bien que j’ai été très tôt sensibilisé au programme « Venez et voyez » des Capucins. Parmi nos visiteurs j’ai vu passer le F. Antony , le F. Joseph-Xavier. J’étais intéressé et je me suis inscrit pour le postulat. A notre première rencontre alors que j’étais vraiment décidé à m’engager, le Père Maître, au terme de beaucoup de questions , conclut : « Prabu, pour vous c’est un peu tôt, vous allez retourner à la maison et si vous le voulez on en reparlera dans un an. » Déception ! Dans son enquête il avait remarqué que j’étais l’unique garçon de la famille ; il craignait l’opposition des parents.
Peu après avec maman nous avons rencontré le P. Maître et maman l’a rassuré « Père, Prabu veut entrer chez vous, son père et moi nous sommes tout à fait d’accord et ferons tout pour l’encourager. » Alors les portes s’ouvrirent et je pus entrer à Thusthukudi au postulat ,puis à Coimbatore au pré-noviciat et enfin au noviciat de Nagercoil où le 13 mai 1996 j’ai revêtu la bure capucine et émis mes premiers vœux en présence de toute ma famille.
Comme je voulais être prêtre j’ai commencé le cycle des études. D’abord la philosophie de 1997 à 1999 dans ma ville natale Kotagiri où je retrouvais l’air vif de la montagne si propre à nous ouvrir à la métaphysique. Puis... la théologie... J’ai passé à Dindicul mon année d’expérience en vie fraternelle. Nous étions cinq et tout en assurant l’office au chœur nous avions de longues heures de travail manuel au jardin surtout et à la cuisine en plus de l’entretien de la maison. Cette année-là est passée très vite et c’est là que j’ai pris goût à la culture des fruits et des légumes. Mais j’avais hâte de commencer mes études de théologie.
Je suis donc parti pour Trichy à l’autre bout de la Province pour l’Écriture sainte et la théologie. J’y suis resté de l’an 2000 à 2004. Trichy est une grande ville. Les cours avaient lieu sur place et étaient assurés par des capucins où par des prêtres diocésains. Les ordinations avaient lieu également au couvent. En 2003 j’ai reçu le diaconat et enfin en 2004 le sacerdoce.

Merci Prabu pour ce savant curriculum. Pourtant permets une dernière question : comment es-tu arrivé en France et comment as-tu réussi à t’acclimater dans ce pays si différent du tien ?

En 2006 j’ai été vicaire dans une paroisse. Avec le Père curé il y avait un diacre expérimenté et un frère. Outre le service liturgique la paroisse animait un centre social, une auto-école, et des cours du soir de 17 à 19 heures. Vers la fin de l’année P. Arulraj est venu me remplacer. Car depuis l’ouverture de notre mission au Zimbabwe je rêvais d’y aller. A la fin du chapitre de 2005 le P. Provincial me demande si je voulais aller en mission et, à ma réponse affirmative, il me dit : « Bon ? je vous envoie en France ! » Le temps d’obtenir mes papiers sans autre préparation, sans connaître un mot de français j’arrivais le 3 août 2006 à Paris-Charles-de-Gaulle. Pour comble de malchance le P. Joseph-Xavier chargé de m’accueillir s’était fourvoyé dans l’arrivée à l’aéroport… il se hâtait à ma rencontre certes mais il n’était pas là ! Panique ! je monte voir au départ, redescend et finalement, au bout d’une demi-heure, je l’aperçois dans un escalier mécanique montant… Ouf !
A Boissonade, je me sentis tout de suite mieux : on m’attendait. Le Frère Provincial m’a présenté le programme,
1) aller à Blois pour les démarches administratives, et celles-ci accomplies
2) me préparer à aller à Mission-Langues en Belgique où je serais avec Lucas. J’avais hâte de me mettre au français et d’en savoir plus sur la culture de ces gens qui mangent avec des fourchettes…

A Banneux, près de Notre-Dame des Pauvres, Mission-Langues m’a vraiment initié. Mon but était de pouvoir lire en public , de pouvoir célébrer la messe. J’écoutais les autres et notais ce qu’ils disaient c’est ainsi que je me suis lancé. Et après, de famille à Blois, la leçon quotidienne de F. Michel m’a perfectionné et conduit à pouvoir me débrouiller tout seul, à prendre mon tour dans la liturgie de la Basilique etc.
En 2009 Dominique Sauvenier devant quitter Blois on me proposa de le remplacer comme aumônier de l’hôpital. Ce n’était pas une petite affaire car il fallait obtenir l’agrément de la Préfecture. Le P. Philippe Verrier m’a bien aidé et aujourd’hui je suis employé à mi-temps à l’hôpital civil de Blois. Maintenant tout le personnel me connaît bien et je n’ai aucune difficulté même dans les heures sans visite, à aller voir un malade qui m’appelle.
Avec moi j’ai toute une équipe qui visite les malades et prépare les cérémonies tant le sacrement des malades que les funérailles qui ont toujours lieu à la morgue avec la famille du défunt

Stop ! voilà qu’éclatent les premières mesures de la 5e de Beethoven. « Excusez-moi, c’est mon portable ! Allo, oui, C’est moi. – Où êtes-vous ? à l’hôpital ? Bon, j’arrive, attendez-moi à l’accueil. » Et F. Prabu d’endosser son imper, de fixer son casque et de courir empoigner sa BMW pour aussitôt rejoindre son appel…