Les gestes plus que les mots


Parmi les traits séduisants de François d’Assise qui font de ce saint du 12e siècle un homme ayant encore un impact sur notre temps je citerai volontiers son attention à la vie, aux gestes et sa méfiance de tous les beaux discours.

Pour lui la parole doit se prolonger dans des attitudes. Le comportement doit illustré le discours. C’est pourquoi il demandait à ses frères de veiller à leur comportement qui devait être un moyen d’évangélisation : Quand les frères vont par le monde qu’ils évitent de discuter et de débattre mais qu’ils soient doux, patients, plein d’écoute et de miséricorde parlant à tous comme il convient. (2e Règle) ou ailleurs : Les frères qui s’en vont chez les infidèles ne doivent faire ni revendications ni disputes mais qu’ils vivent en chrétiens et ensuite s’ils le jugent opportun, qu’ils annoncent une parole. (1e Règle) Saint Antoine de Padoue qui avait obtenu de François l’autorisation de faire de la théologie avait bien retenu son enseignement : La Parole est vivante, lorsque ce sont les actions qui parlent. Je vous en prie, que les paroles se taisent, et que les actions parlent. Nous sommes pleins de paroles et vides d’actions. (Homélie de St Antoine)

Cette insistance du geste qui doit devenir parole n’est pas une affirmation gratuite chez St François. Il en est venu à cette conviction au cœur de sa prière en contemplant le mystère de l’Incarnation. Le Verbe, la Parole s’est fait chair, cette citation du Prologue de St Jean émerveille le Poverello. Jésus a transmis aux hommes son message d’amour en aimant purement et simplement les hommes et les femmes de son temps tels qu’il les rencontrait sur les routes de Palestine ou de Galilée. Sa vie est parole. Sa naissance simple et pauvre est une invitation forte au dépouillement pour venir au devant des autres. Sa mort sur la Croix est un cri d’amour extrême. Or François attache beaucoup d’importance à ces deux temps de la vie du Seigneur : sa naissance et sa mort. Ses biographes disaient qu’il pouvait à peine penser à autre chose tellement il était bouleversé par la crèche et le calvaire. Or nous remarquons que ce sont là précisément deux moments où le Christ ne dit pas un mot mais son message y est pourtant très fort.

C’est sur cette cohésion entre vie et parole que les frères mineurs vont tenter de mettre l’accent dans leur manière d’annonçer l’Évangile. Dans l’Église ils veulent montrer que le geste et le comportement évangélique sont plus importants que tous les discours sur la charité. François enverra ses compagnons pour qu’ils deviennent et apprennent à être partout des frères et entraînent les autres dans ce mouvement de fraternité. Cette prédication en actes avec quelques mots simples deviendra la manière de participer à la mission pour la famille franciscaine. Cette démarche peut être à la portée de tout baptisé et elle est indispensable à la vitalité de l’Église.

C’est en ce sens qu’il nous faut lire le texte d’Éloi Leclerc extrait de Sagesse d’un pauvre (voir ci-dessous). En quelques mots toute l’évangélisation est expliquée. Il ne s’agit pas de commenter le message d’amour du Christ mais de montrer qu’il est possible de le vivre.

Une telle attitude ne peut qu’être bien accueillie dans notre monde actuel où nous sommes tous abasourdis par des discours qui se veulent toujours plus vrais que les précédents, de telle sorte que personne ne croit plus aux exhortations, aux promesses. Seuls les témoins proclament un message par leurs engagements, leurs choix de vie. François nous appelle à marcher nous aussi sur ce chemin. Entendrons-nous son appel : Tous les fidèles doivent prêcher par leurs actes ?

Fr. Richard Moriceau

QU’EST-CE QU’ÉVANGÉLISER ?

- Le Seigneur nous a envoyés évangéliser les hommes. Mais
as-tu déjà réfléchi à ce que c’est qu’évangéliser les hommes ?
Évangéliser un homme, vois-tu, c’est lui dire : Toi aussi, tu
es aimé de Dieu dans le Seigneur Jésus. Et pas seulement le
lui dire, mais le penser réellement. Et pas seulement le penser,
mais se comporter avec cet homme de telle manière qu’il sente et
découvre qu’il y a en lui quelque chose de sauvé, quelque chose
de plus grand et de plus noble que ce qu’il pensait, et qu’il
s’éveille ainsi à une nouvelle conscience de soi. C’est cela, lui an-
noncer la Bonne Nouvelle. Tu ne peux le faire qu’en lui offrant
ton amitié. Une amitié réelle, désintéressée, sans condescendance, faite de confiance et d’estime profondes.

- Il nous faut aller vers les hommes. La tâche est délicate. Le monde des hommes est un immense champ de lutte pour la richesse et la puissance. Et trop de souffrances et d’atrocités
leur cachent le visage de Dieu. Il ne faut surtout pas qu’en allant
vers eux, nous leur apparaissions comme une nouvelle espèce de
compétiteurs. Nous devons être au milieu d’eux les témoins paci-
fiés du Tout-Puissant, des hommes sans convoitises et sans mé-
pris, capables de devenir réellement leurs amis. C’est notre ami-
tié qu’ils attendent, une amitié qui leur fasse sentir qu’ils
sont aimés de Dieu et sauvés en Jésus-Christ.

Éloi Leclerc, Sagesse d’un pauvre, Éd. Franciscaines, 1959