Nous reproduisons ci-dessous le mot d’accueil et l’’homélie de la messe célébrée le dimanche 8 novembre 2011 dans l’église paroissiale de Villemur à l’occasion du deuxième anniversaire de la fermeture de l’usine Molex, et présidée par le P. Philippe Bachet, capucin et curé de la paroisse.
Mot d’accueil
A la demande de l’ACO (Action Catholique Ouvrière) j’ai accepté que la célébration de ce dimanche soit l’occasion de rappeler l’engagement de notre église au cours de ce conflit. Le thème des journées nationales de l’ACO était résumées dans le titre : Résistance et Espérance. Ce thème est dans la ligne de ce que nous avons fait ici tous ensemble. J’ai toujours insisté pour dire que le soutien que nous apportions se faisait au nom de la doctrine sociale de l’Église que j’ai eu l’occasion de rappeler à plusieurs reprises. Je suis donc heureux d’accueillir une délégation de l’usine Molex et une délégation de l’usine Brusson, qui grâce à l’effort de tous : Comité de coordination pour le développement économique de notre bassin de vie, Association de soutien des Molex, engagement des élus et des syndicats a permis le sauvetage de cette usine qui nous l’espérons sera appelé à se développer dès l’an prochain.
Homélie :
Je retiendrai juste la dernière phrase de l’évangile d’aujourd’hui : Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Et il s’agit bien de cela dans notre rencontre d’aujourd’hui. L’Église a souci de la vie éternelle mais le Christ insiste pour nous dire que la vie éternelle commence dans notre passage en ce monde dans le temps et dans l’espace. Et c’est bien concrètement là que nous sommes invités à travailler pour avancer et espérer un monde plus juste et plus fraternel tel que le Christ nous y invite notamment dans les Béatitudes que nous relisions à Toussaint et qui ornent le chœur de notre église : heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, heureux les artisans de paix. Le traumatisme que nous avons vécu ici, à Villemur, est justement le fruit d’un mépris évident de la dignité de la personne humaine à la fois dans son travail et dans la capacité des ouvriers et des ingénieurs à construire et à mettre en oeuvre les outils nécessaires à la fabrication des pièces demandées. Ceci s’appelle d’une part la valeur du travail et la valeur de l’investissement. Le cas de Molex dépasse largement le cadre de notre communauté de vie car il a été le symbole de la financiarisation du travail qui démolit aujourd’hui tant et tant d’entreprises, qui met tant d’hommes et de femmes au chômage dans une conjoncture économique difficile. Depuis le début de l’industrialisation, l’Église a sans cesse dénoncé les dérives des systèmes uniquement basés sur le capital. Léon XIII dans sa célèbre encyclique Rerum Novarum fait émerger la question sociale. Parmi les propositions, très novatrices à l’époque, il note le droit au juste salaire, le droit de constituer des associations professionnelles, la nécessité d’adapter les conditions de travail des enfants et des femmes, le repos dominical. Léon XIII situe l’église dans une position critique à la fois envers le socialisme collectiviste et le libéralisme individualiste, position qui restera une constante de la Doctrine sociale. Jean XXIII insistera sur la nécessité de renouer les liens de la vie en commun dans la vérité, la justice et l’amour et il rappellera que le développement passe par le travail et l’entreprise qui doivent tendre à devenir des communautés de personnes. Il affirme les droits de l’homme en lien avec ses devoirs tout en rappelant que l’ordre de la société repose de fait sur 4 piliers : la vérité, la justice, l’amour et la liberté. Il aborde déjà le thème de la mondialisation et de l’interdépendance des peuples. Paul VI sera confronté au problème de la décolonisation. Dans son encyclique Populorum progressio il affirme que la question sociale est devenue mondiale. Les nations sont invitées à des transformations audacieuses et des réformes urgentes afin de réaliser une action concertée pour le développement intégral de l’homme et le développement solidaire de l’humanité. L’église dit-il tient comme important et urgent de bâtir des structures plus humaines, plus justes, plus respectueuses des droits de la personne humaine, moins oppressives et moins asservissantes, mais elle est consciente que les meilleures structures, les systèmes les mieux conçus deviennent vite inhumains si les pentes inhumaines du coeur de l’homme ne sont pas assainies, s’il n’y a pas une conversion du coeur (Evangelii nuntiandi 36). Je ne peux pas énumérer toutes les prises de position mais je vais essayer de donner quelques pistes qui peuvent permettre d’espérer et d’avancer. Le constat nous le connaissons : la financiarisation de l’économie mondiale tue peu à peu non seulement le tissu social mais aussi les entreprises même lorsqu’elles sont performantes si la valeur ajoutée n’est vue qu’à travers la lorgnette de la rémunération du seul capital. D’autre part les banques ont inventé des produits financiers à risque qui ont conduit à la crise que nous connaissons. Il faut donc aujourd’hui repenser de fond en comble la théorie de la valeur qui seule nous permettra d’avancer et d’espérer. Si cet immense chantier concerne au premier plan les dirigeants de la planète, nous pouvons donner quelques éléments fondamentaux. La relation aux autres n’est pas un risque, elle est une chance, y compris dans le domaine de la mondialisation. Mais il s’agit de reconnaître la fonction sociale de l’économie et proposer des moyens de réencastrer l’économie dans le tissu de la société et l’orienter vers des critères à la fois moraux et politiques. L’argent redevient dès lors un outil de service et non de spéculation. Il est nécessaire qu’une entreprise soit rentable, ce qui ne veut pas dire que maximiser son profit doive être son ultime finalité. L’activité économique d’une société concerne les fournisseurs, les salariés, les clients, les riverains des sites de consommateurs et les actionnaires. Ces responsabilités correspondent aux principes des droits de l’homme et du travail, du respect de l’environnement et de la lutte contre la corruption. Un certain nombre de propositions ont déjà vu le jour tels par exemple les Sociétés coopératives d’intérêt collectif. Il faut aussi éviter de nouvelles bulles financières qui peuvent encore s’établir, d’où l’importance des institutions internationales et de leurs dirigeants. Benoît XVI a repris le débat dans sa dernière encyclique. Le chef d’entreprise dit-il n’est plus stable, l’entreprise n’est plus liée à un territoire et l’actionnariat est à court terme. Or avant d’avoir un signification professionnelle, l’entreprenariat a une signification humaine. A tout travailleur doit être offert la possibilité d’apporter sa contribution. L’articulation de l’autorité politique au niveau local, national et international est une des voies pour parvenir à orienter une vraie mondialisation économique. Sinon, la démocratie elle-même est mise en danger. Les processus de mondialisation, convenablement conçus et gérés, offrent la possibilité d’une grande redistribution de la richesse au niveau planétaire comme cela ne s’était jamais présenté auparavant – s’ils sont mal gérés ils font croître la pauvreté, les inégalités au niveau même du monde. La diffusion du bien-être à l’échelle mondiale ne doit donc pas être freiné par des projets égoïstes et dictés par des intérêts particuliers. François d’Assise avait mis la pauvreté au centre de son message et de sa vie afin d’être libre et de pouvoir dire les vicissitudes de son temps. Aujourd’hui, il nous faut reprendre cette intuition à notre compte. Dès son enfance l’homme est jeté dans un monde où toutes les opinions, toutes les croyances, tous les systèmes de valeur se côtoient ouvertement. Dans ce monde pluraliste, la foi n’est pas une leçon apprise, elle exige un choix de valeur, un déracinement, un cheminement de vie constamment réévalué. Le croyant est renvoyé à l’essentielle nudité de l’homme et il ne sait pas d’avance quelles sont les voies de Dieu. Mais la foi est une aventure qui rejoint la grande aventure humaine. Le croyant doit écouter les voix profondes du monde et se laisser interpeller par elles. C’est au niveau de ce cheminement humain que nous sommes invités à entendre à nouveau la Parole et à découvrir les signes. Osons nous dépouiller pour être libre et accueillir les dons de l’Esprit. Oui avancer, espérer et ne jamais faillir à l’amour.
L’évangile lu à la messe de ce jour (Luc 20, 27-38) :
Des Sadducéens - ceux qui prétendaient qu’il n’y a pas de résurrection - vinrent trouver Jésus, et ils l’interrogèrent :
_« Maître, Moïse nous a donné cette loi : "Si un homme a un frère marié mais qui meurt sans enfant, qu’il épouse la veuve pour donner une descendance à son frère. Or, il y avait sept frères : le premier se maria et mourut sans enfant ; le deuxième, puis le troisième épousèrent la veuve, et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d’enfants. Finalement la femme mourut aussi. Eh bien ! à la résurrection, cette femme, de qui sera-t-elle l’épouse, puisque les sept l’ont eue pour femme ? »
Jésus répondit : « Les enfants de ce monde se marient. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne se marient pas, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont fils de Dieu, en étant héritiers de la résurrection. Quant à dire que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur : ‘ le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob.’ Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ; tous vivent en effet pour lui. »
Voir aussi le reportage de FR3 (où il est dit que Philippe Bachet est prêtre-ouvrier, ce qui est une erreur !)