Le frère Benoit Lhôte est en Haïti depuis quelques mois. Cette lettre est écrite deux jours avant le tremblement de terre
Assis sur la terrasse, Jean-François et moi-même échangeons quelques impressions. La journée fut bien remplie et nous profitons d’un petit moment avant le repos de la nuit. La soirée fut consacrée à la projection d’une série télévisée américaine produite par David L. Wolper en 2007. Les nombreux jeunes présents furent très intéressés par le phénomène "Racines" qui nous offre l’histoire d’une famille d’esclaves noirs dont le héros s’appelait Kunta Kinte. Celui-ci fut capturé en Afrique et réduit à l’esclavage en Amérique en 1767. Tous nos amis sont maintenant partis. Au loin, le grondement de la mer ; autour de nous, le chant des cigales. Beaucoup d’étoiles brillent dans le ciel.
Pointe d’Abacou
Pour les fêtes de fin d’année, la fraternité d’Abacou m’a accueilli. Ce petit village est situé au bord de la mer des Caraïbes et ressemble véritablement à un paysage de carte postale. La communauté est rattachée à celle de Béraud mais l’état des routes ne facilite pas les échanges. Notre inscription dans l’histoire locale est récente car les Capucins ont reçu la charge de la paroisse au mois de mai 2009. Un magnifique presbytère, construit par les paroissiens eux-mêmes, a été mis à leur disposition. Au jour d’aujourd’hui, un puits est en cours de construction. Avec chance, les frères ont découvert la présence d’une eau limpide et potable. Jean-François creusait un trou à proximité de la maison pour enfouir les déchets et il a repéré que les racines plongeaient verticalement. Les frères ont fait appel à un puisatier pour « fouiller » plus profond et l’eau a jailli. Ils ont trouvé une eau abondante sous deux mètres de rocher. Elle semble même capable d’alimenter une partie du village si nous trouvons le financement pour une pompe solaire pouvant fonctionner durant la journée. Quoi qu’il en soit, les bonnes volontés ne manquent pas : le puits est creusé et nous sommes en train de le cimenter. Il est vrai que les gens répondent toujours favorablement quand nous les sollicitons pour un coup de main. Les relations avec les habitants sont simples et source d’une joie profonde. Jean-François et moi-même sommes très touchés par leurs qualités relationnelles. Comme un esprit de fraternité déjà à l’œuvre depuis longtemps. Les mots de Jean-François me reviennent à l’esprit et je les reproduis fidèlement : « Comme frères mineurs, nous devons privilégier le partage. Partager, c’est donner une part de soi-même, de ses biens, de son temps, un lieu de vie, un travail. Lorsque nous partageons un travail, en priorité avec les plus pauvres, une relation plus vraie et plus simple s’établit « instinctivement » de part et d’autre. »
La fraternité va s’étoffer parce que deux frères brésiliens du Rio Grande do Sul vont venir renforcer les rangs en février prochain. Ils se nomment frère André Luis Barros Silva et frère Sérgio Defendi. Le premier est prêtre et travaillera dans le ministère paroissial. Le second possède de réelles compétences en informatique et prendra la responsabilité d’une formation que les frères vont offrir à quelques jeunes. Une autre réalisation est ainsi à l’horizon. Une salle va être construite pour accueillir des cours d’informatique. Cette initiative peut être placée dans le cadre de projets si nécessaires au développement. Ici comme ailleurs en Haïti, il faut faire preuve d’imagination. En effet, les perspectives d’avenir sont assez étroites pour les jeunes et toute proposition, si modeste soit-elle, constitue un « plus ».
Béraud
Dans quelques jours, nous allons retrouver Béraud. L’environnement est différent mais la vie circule tout autant. Nous n’entendrons plus le grondement de la mer des Caraïbes mais, de notre terrasse, nous contemplerons aussi un magnifique ciel étoilé. Nous sommes établis dans le milieu rural. Les gens exploitent de petits lopins de terre et en tirent une maigre subsistance. Nul doute que la pauvreté ici est différente de celle de Port-au-Prince, ville séduisante mais contrainte d’accueillir toutes les misères et présentement incapable d’assumer cette lourde responsabilité.
Nous avons acquis un bon terrain grâce à la générosité d’une famille locale. La construction d’un complexe paroissial mobilise actuellement toute notre énergie. De fait, nous sommes entrés dans l’étape de mise en œuvre de ce projet depuis le mois d’août et les exigences du chantier nous imposent un rythme soutenu. La maison est déjà sortie de terre. Le gros œuvre est maintenant achevé mais les travaux intérieurs vont être au cœur de nos préoccupations pendant un peu de temps. Les frères travaillent avec les ouvriers du chantier. Tous les frères participent, chacun selon ses compétences. Fr Lori, par exemple, approvisionne le chantier et assure un suivi rigoureux tout en gardant le souci du « travail avec ». Il ne se ménage pas et la fatigue est souvent au rendez-vous.
Ce lieu d’habitation, le presbytère, aura belle allure. Il est vrai que nous sommes assez privilégiés par rapport aux habitations des gens du coin . [1] Conscients de cette situation, nous souhaitons que cette maison soit ouverte et représente un espace de rayonnement évangélique.
Fr. Prosper Cadelin, frère haïtien en formation théologique à Saint Domingue, va bientôt nous rejoindre et nous nous réjouissons de cette venue. Il partagera notre vie pendant quelques mois pour acquérir une expérience du terrain. Il pourra accompagner un groupe de jeunesse franciscaine en apportant une aide précieuse à fr. Armand ; il ira peut-être visiter les malades ou sera chargé de l’accueil : de nombreuses possibilités existent et chacun participe selon ses compétences. Il faut noter que l’investissement des frères Capucins haïtiens est davantage orienté vers le ministère paroissial traditionnel. De fait, toute notre vie est organisée en fonction de cette tâche. Actuellement, ce type de mission évangélique est incontestablement celui qui convient le mieux, aussi la question de notre spécificité religieuse n’agite pas les esprits. Nul doute que la vie fraternelle se développe et libère aussi son parfum sur ce terrain.
Benoît Lhote