Me voici arrivé depuis la mi-novembre dans ma nouvelle fraternité de Crest, dans cette fraternité qui a reçu parmi ses missions particulières l’accueil des frères voulant se ressourcer ou se reposer, et l’accueil de frères désirant mener une vie de prière et de contemplation. Elle est donc fortement marquée par cette mission reçue lors du dernier chapitre provincial : « Permettre à des frères de vivre une expérience de vie de prière à plein temps ou au moins pendant de longues périodes ... que soient nommés dans cette maison des frères appelés à vivre cette mission et à accueillir des frères désireux de vivre des temps de retrait ». Et c’est bien dans le cadre de cette mission que je vis ma présence en fraternité à Crest.
Cependant, et j’insiste là-dessus, si faciliter une vie de prière et de contemplation est une des missions de la fraternité de Crest, ce n’est pas la seule vocation de cette maison : Crest n’est pas une « maison de récollection » exclusive ou un ritiro, une maison d’ermitage. C’est une Fraternité comme une autre, mais dont l’organisation de la vie de la maison et son environnement veulent offrir aux frères qui s’y sentent appelés un cadre favorisant une vie de prière et d’oraison personnelle soutenue.
« LE CHRIST EST NOTRE VIE, NOTRE PRIERE, NOTRE AGIR » (CONST 45 ;4)
Je préfère d’ailleurs parler d’une « vie d’oraison » que de « contemplation », ce mot étant ambigu. Il n’est pas dans mes appels de voguer sur les mers de la grande mystique. Pour moi, prier, « contempler » en frère mineur capucin , ce n’est rien d’autre qu’essayer d’être là, en présence de Celui qui m’attend, qui me désire et que je désire ; me laisser saisir et agir par l’Esprit pour entrer dans la connaissance intime de Jésus-Christ, et par lui dans l’intimité du Père. Pour cela, consentir à me laisser façonner et travailler au plus profond. Apprendre à me laisser désapproprier, à permettre à l’Esprit de me "christifier" pour m’unir au Christ et me ramener au Père. S’engager au quotidien sur une voie de dépouillement, " opérer sa pâque " à la suite de Jésus-Christ humble, pauvre et crucifié par amour, nous dévoilant, par tout son être de désappropriation, Dieu comme mystère de pauvreté, d’humilité et d’amour. Oui c’est cette humilité et pauvreté de Dieu manifestées en Jésus-Christ que François présente à ses frères comme chemin d’union et de communion à Dieu. Prier et "contempler" en frères mineurs capucins, c’est se laisser agir par cette pauvreté et humilité du Christ ; c’est accepter d’être crucifié au monde avec et au nom de Jésus-Christ, et participer ainsi à la libération et à la transfiguration de chaque homme, de chaque créature dans le Christ et à son retour à Dieu.
« NOTRE PRESENCE PROPHETIQUE DANS LE MONDE ET DANS L’ÉGLISE A COMME BASE NECESSAIRE LA CONTEMPLATION » (CPO V)
C’est dire que ce n’est pas une fuite du monde. Au contraire comme le rappelle le CPO VII, « Le frère mineur est celui qui contemple en premier lieu un Dieu qui se fait mineur dans la crèche, sur la croix et dans l’eucharistie et qui jamais ne perd de vue ses sœurs et ses frères — spécialement les plus pauvres — comme toute la création. » Je suis frappé de voir dans les textes de l’Ordre, en particulier dans les CPO, comment solidarité auprès des petits et des pauvres et nécessité d’une vie de contemplation sont étroitement liées. Déjà le CPO I demandait en même temps et la création de fraternités d’insertion (n°36) et la création de fraternités de récollection (n°39). Le CPO V, qui a pourtant pour thème notre vie apostolique, commence par demander comme première mesure de "promouvoir maisons de prière et ermitages, pour vivifier notre vie contemplative et pour apporter une aide à ceux qui s’engagent dans le chemin d’une contemplation adaptée à la diversité des conditions." Comment, au moment où j’écris, mon oraison ne serait-elle pas habitée par ce qui se vit en Tunisie et en Égypte, ou par la situation des « mal-logés » en notre pays. « L’ermitage qui, pour les premiers capucins, se situait toujours à la limite de la ville, n’est pas un lieu choisi pour ne pas voir mais plutôt le lieu d’un regard plus large sur la réalité contemplée à partir de Dieu et des pauvres. (CPO VII, 31 »). C’est pour moi une mission et un véritable ministère à part entière, dont le désir m’habite depuis mon entrée chez les capucins !
« VENEZ A L’ECART DANS UN ENDROIT DESERT ET REPOSEZ-VOUS UN PEU » (MC 6, 31)
« Il est nécessaire de donner aux frères des moyens pratiques pour favoriser leur rencontre avec Dieu dans leur propre intériorité et dans les réalités qui les entourent ». Voilà tout simplement et avec les humbles moyens qui sont les nôtres ce que la fraternité de Crest voudrait favoriser, et rien de plus. Permettre, comme le dit le CPO V d’« organiser la vie personnelle et communautaire de façon telle que la dimension contemplative trouve non seulement un stimulant à des heures fixes, mais soit reconnue comme un engagement fondamental de toute notre vie. » et pour cela « établir et protéger un milieu, avec des temps et des espaces de silence ».
Et voilà ce que nous voudrions aussi offrir aux frères de la Province : un lieu de ressourcement permettant de vivre des temps de retrait dans une atmosphère fraternelle, et soutenu par la prière des frères. Pour cela nous avons aussi aménagé l’ancienne maison des hôtes, afin de permettre à celui qui le désire de vivre des temps de solitude. Elle vous attend, et nous vous attendons ; aussi n’hésitez pas, et soyez les bienvenus.
UN REVE UTOPIQUE ?
Si je désire vivre selon un tel rythme de vie, c’est aussi dans l’espoir de pouvoir aussi transmettre ce qui fait pleinement partie de notre charisme capucin depuis les origines : la vie d’oraison offert à tous, la vie d’intimité avec Dieu présent au plus intime de chacun. Crest ne pourrait-il pas devenir un jour un lieu où l’on pourrait aussi proposer à des laïcs l’expérience de l’oraison franciscaine capucine, les initier et les accompagner dans cette pratique ?
Nos textes insistent sur la nécessité de ne pas séparer vie de prière et vie de service apostolique. Pourquoi ne pas créer à partir de Crest un « réseau » qui réunirait les fraternités dite d’insertion et la fraternité dite de prière de Crest, et qui permettrait aux frères de se soutenir mutuellement dans leurs missions et de s’enrichir des expériences des uns et des autres ?
F. Daniel Painblanc
« Le frère mineur est celui qui contemple en premier lieu un Dieu qui se fait mineur dans la crèche, sur la croix et dans l’eucharistie et qui jamais ne perd de vue ses sœurs et ses frères — spécialement les plus pauvres — comme toute la création ». (CPO VII, n°31)