Le 14 octobre 2010 - mois de la saint François d’Assise-, le frère dominicain Guy-Thomas Bedouelle, recteur de l’Université catholique de l’ouest, a donné une conférence sur le thème « Notre père saint François et notre père saint Dominique ».
Comme l’a rappelé l’historien Pierre Moracchini dans sa présentation, cette conférence renoue avec une vieille tradition qui veut qu’à la saint François, un frère dominicain vienne faire un panégyrique de saint François dans un couvent franciscain et qu’inversement, le jour de la saint Dominique, un franciscain vienne faire la même chose en l’honneur de saint Dominique.
C’est à l’occasion de la parution du nouveau Totum des sources franciscaines, édité conjointement par le Cerf, maison d’édition dominicaine, et les Éditions Franciscaines, que l’Association des « Amis de la Bibliothèque Franciscaine des Capucins » a invité le père Bedouelle à faire une lecture dominicaine de cet ouvrage. Ce dernier nous propose donc un parallèle entre les deux fondateurs en étudiant leurs rencontres, au nombre de trois, relatées dans les textes franciscains et dominicains, puis nous donne un portrait comparé de ces deux saints.
Le père Bedouelle pense que François et Dominique se sont rencontrés au cours du concile Latran IV, en 1215, mais ce n’est pas avéré. Nous ne prendrons donc pas en compte cette éventuelle « première rencontre ».
En revanche, une première rencontre en 1217 est relatée dans les sources franciscaines (cf. François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, p. 3099 : sermon de l’archevêque de Pise Federico Visconti), comme dans les textes dominicains. Cette année-là, François et Dominique se trouvent à Rome pour demander au pape, Honorius III, des privilèges pour leur Ordre. Dominique a une vision du Christ en colère devant les péchés des hommes. La Vierge, pour le calmer, lui présente François et Dominique comme étant capables de l’aider à sauver le monde. Le lendemain, Dominique rencontre François et reconnaît l’homme qui l’accompagnait dans sa vision. Tous deux rendent grâce à Dieu et s’embrassent : c’est le baiser des deux fondateurs, souvent représenté dans l’iconographie. Cette tradition franciscaine de leur première rencontre a son équivalent dominicain dans La vie des frères de Gérard de Frachet.
Une deuxième rencontre a lieu lors d’un chapitre franciscain, très probablement à Sainte-Marie-des-Anges, le 3 juin 1218. On en trouve la relation dans les « Actes du bienheureux François » dans les Fioretti (François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages p. 2804-2808). À ce chapitre assistent Dominique et sept frères dominicains. Dominique est frappé et touché par l’exigence de pauvreté évangélique prêchée par François. Influencé par ce dernier, et à partir de cette rencontre, sa perception de la pauvreté évolue vers une pauvreté plus radicale, même s’il ne va pas jusqu’à dire que les frères ne doivent rien posséder.
Une troisième rencontre, enfin, a lieu chez le cardinal Hugolin, futur Grégoire IX, grand ami de François et de Dominique, entre 1218 et 1221. Pour cette dernière rencontre, on dispose de textes plus convergents et plus vraisemblables. Elle est en particulier retranscrite chez Thomas de Celano (2C148) et dans les souvenirs de frère Léon (Compilation d’Assise, 49).
L’objet de leur rendez-vous chez Hugolin concerne la possibilité de devenir évêque pour les frères mendiants, dont la vie évangélique édifie le cardinal. Mais faisant assaut de modestie et d’humilité, les deux fondateurs déclinent l’offre d’une seule et même voix : pas de charges épiscopales pour les frères. Saint Dominique refusera plusieurs évêchés, dont celui de Couserans dans le Sud de la France. Il est amusant de noter que sept cents plus tard un dominicain, le père de Mauléon, accepte le siège épiscopal pour le diocèse de Pamiers, Mirepoix et... Couserans.
La relation de ces rencontres est l’occasion de brosser les portraits comparés de saint Dominique et de saint François, dont le père Bedouelle souligne les éléments qui les différencient et ceux qui les rapprochent. François et Dominique vivent dans des milieux très différents.
Pour François c’est l’Italie des communes en plein essor. Il vit dans un milieu urbain, marchand et bourgeois, et réagit vis-à-vis de cette société qui connaît une certaine prospérité grâce au commerce.
La spiritualité de saint François est une spiritualité laïque ; François est un laïc, il ne sera pas ordonné prêtre. À part son voyage chez le sultan, il mène une vie sédentaire.
Il laisse de très beaux écrits, certains liés à son amour de la Création, et on peut dire qu’il est le fondateur de la littérature poétique en Italie.
L’Espagne de Dominique, c’est l’ancien monde, la vieille Castille, un milieu rural austère, cadre d’une société féodale dans laquelle le sens du service est très développé. La vie y est pauvre et sobre, même au sein de l’aristocratie.
Dominique a une formation spirituelle cléricale dont il a hérité de son éducation chez les chanoines d’Osma. C’est un grand voyageur, il va jusqu’en Scandinavie et en Prusse, et prend ainsi conscience des besoins d’évangélisation.
À part une lettre aux moniales de Madrid, on ne possède pas d’écrits de lui, mais sa pensée et peut-être sa plume (?) sont présentes dans le très beau texte capitulaire des institutions primitives de l’ordre dominicain. Il possède un remarquable sens juridique, ce qui fait de lui un véritable fondateur, ses constitutions étant un modèle d’équilibre, de pouvoir, de démocratie et d’autorité.
Si leur personnalité, leur manière de vivre et les milieux dans lesquelles ils vivent sont très différents, ils pratiquent, spirituellement, le même aspect pénitentiel de la pauvreté et possèdent le même amour de l’Église - tout en dénonçant ses déviations.
Et le père Bedouelle de conclure ce double portrait : « Rendons grâce à Dieu qu’il y ait eu, au même moment, saint François qui est toute sensibilité intelligente, et saint Dominique qui est toute intelligence sensible. »
Cécile de Cacqueray, extrait du Bulletin des Amis de la Bibliothèque, n°12, 2011)