Pourquoi donc l’Algérie est-elle si mal aimée ?


Le billet de Mgr Claude Rault, évêque de Laghouat-Ghardaïa (Algérie), mai 2012 :

Bien chers amis,

Depuis de trop nombreuses années, revient cette lancinante question : mais pourquoi donc l’Algérie est-elle si mal aimée ?

C’est vrai, un lourd passé de défiance pèse sur les épaules de ce peuple, de la guerre de libération à cette trop fameuse « décennie noire » des années 90. La célébration du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie va-t-elle effacer cette interrogation ? La presse et les médias ne sont pas prolixes sur cet événement, ni d’un côté ni de l’autre de la Méditerranée, signe que la réconciliation est encore à venir. Tandis qu’en France, la campagne des présidentielles a parfois pris comme otages électoraux les émigrés dont un bon nombre sont algériens, ici le pays n’est pas sans ressentir les soubresauts du « printemps arabe », il est pris à mal dans la sécurisation de ses frontières avec le Mali en pleine crise. Dans ce contexte, il est peu mobilisé pour des élections où les partis pullulent et empêchent une cohésion nationale. La vie continue, chère, incertaine et sans trop d’illusions sur un avenir meilleur. Et l’on peut alors se demander : l’Algérie est-elle aimée d’elle-même ?

Vue de l’extérieur, l’Église d’Algérie porte, elle aussi les stigmates de cette question : on la croit souvent insécurisée, voire persécutée, comme cela a pu être le cas pendant la décennie noire. Elle n’est pas la bienvenue dans certains milieux, c’est vrai mais cela ne lui est pas spécifique. Et trop d’encens à son égard ne serait pas nécessairement le signe d’une bonne santé… évangélique !

Voici près d’un an et demi, j’étais au Congo RDC, dans la région des Grands Lacs. Parlant à de jeunes confrères en formation, l’un m’a demandé avec inquiétude si je me sentais « en sécurité » en Algérie. J’ai été stupéfait : je me trouvais alors dans une des régions de l’Afrique où la violence est endémique, quasi quotidienne ; on venait d’y assassiner un prêtre.

Nos propres familles ou nos amis (laïcs, prêtres et religieuses) qui envisagent de nous rendre visite se voient parfois affublés de la même méfiance par leur entourage, comme s’il fallait avoir perdu la tête pour oser s’aventurer dans ce pays ! Les difficultés d’obtention des visas y sont, évidemment, pour quelque chose, mais ce n’est pas la seule raison.

J’ai remarqué qu’au cours d’entretiens, de conférences ou de conversations, revenait presque toujours la référence au drame de Tibhirine. Avouons-le : le spectre de cet événement tragique continue de planer sur nos têtes. Le fameux film « Des hommes et des dieux » a été projeté un peu partout à travers le monde. J’ai été trop lié au monastère et aux frères moines pour en nier la beauté et la profondeur. Mais souvent cette œuvre, victime de son succès, est l’unique référence médiatique sur l’Église dans ce pays. Associer notre Église et Tibhirine, c’est se focaliser sur un sujet piégé et même politisé : on le perçoit bien dans les médias.

Le message de nos frères moines transparaît plus à travers ce qu’ils ont vécu dans le silence de leur monastère et dans la relation à leurs voisins qu’à travers la façon dont ils sont morts. C’est bien sur ce terrain que nous les rejoignons.

Nous n’avons dans ce pays ni une âme ni une vocation de martyrs ! Tant de signes quotidiens nous renvoient au bonheur de vivre au sein de ce peuple, fût-il mal aimé. Cela ne veut par dire que tout se passe sans histoire : vivre le message de Jésus, ce n’est jamais choisir la facilité. Mais faire reposer tant de suspicion sur la population qui nous accueille est une profonde injustice. Nous sommes touchés, par exemple, de voir combien nos amis algériens partagent notre tristesse quand l’un ou l’autre d’entre nous est amené à quitter l’Algérie. Ou encore, ceux et celles qui bravent les doutes et viennent nous voir en repartent tout autres. Et ils sont nos meilleurs ambassadeurs.

Alors même si l’Algérie était si mal aimée, et des autres et d’elle-même, ne serait-ce pas l’ultime raison de l’aimer et de la faire aimer ?

+Claude, votre frère évêque