Spéculatif de haut vol, « prince de la mystique », chargé du service d’un ordre de 30 000 frères, Fr. Bonaventure ne nous a laissé ni autobiographie ni journal spirituel qui nous introduirait dans ses états d’âme. Quelques rares et brèves confidences laissent pourtant entrevoir des événements qui ont compté dans sa vie et en ont orienté le cours. Laissons-nous surprendre par ces quelques anamnèses en ce jour de sa fête.

1- L’impact d’une guérison

« Suite au vœu émis par ma mère auprès du bienheureux père François pour moi qui étais très gravement malade, alors que j’étais encore petit enfant, je fus arraché à la gueule même de la mort et rétabli saint et sauf dans la force de la vie… ». Cette expérience précoce va lui faire percevoir l’existence comme une donation gratuite, l’éveiller à la gratitude, l’ouvrir à l’action de grâce et le mettre en harmonie profonde avec François et Claire d’Assise. Il lui en restera cependant un sens aigu de la fragilité naturelle qui l’amènera à pratiquer une ascèse plus attentive à l’orientation maitrisée du vouloir qu’à la pratique assidue des pénitences corporelles, comme en témoigne Pierre de Jean Olivi : « Il était fragile de corps et réagissait à cela de manière peut-être un peu humaine, ainsi que je l’ai d’ailleurs très souvent entendu le reconnaître avec humilité ».

2- La naissance du croyant

Lors de ses études à la faculté des Arts à Paris, Bonaventure entend qu’Aristote soutient l’éternité du monde : « les battements de mon cœur s’accélèrent à la pensée qu’une telle affirmation contredit la révélation biblique ». Choc d’une pensée autre que la tradition qui a jusqu’ici nourri sa vision du monde. Qui croire ? Où est donc l’autorité première, celle qui donne sens à la vie ? Bonaventure choisira de mettre la fécondité de son esprit sous l’inspiration de la révélation et d’en tirer les conséquences spéculatives et pratiques. Ancrage profond d’une quête philosophique et théologique indispensable aux chrétiens qui veulent rendre compte de l’espérance qui les habite et qui donne sens à leur style de vie. Pratique d’une raison qui sait élargir son champ de vision et de perception en s’exerçant à l’intelligence de la révélation.

3- Le choix de la vie franciscaine

En entrant chez les Frères Mineurs Bonaventure vise un exercice de l’intelligence qui induise une structuration de l’existence s’exprimant dans un style de vie. Dans une lettre adressée à un « maître » qui cherche sa vocation, Bonaventure révèle ce qui l‘a attiré chez les Frères Mineurs :  » J’avoue que la raison qui m’a fait le plus aimer la vie du Bienheureux François, c’est qu’elle ressemble au début et à la croissance de l’Église. L’Église commença d’abord avec de simples pêcheurs et s’enrichit par la suite de docteurs très illustres et très savants ; pareillement la religion de saint François, n’a pas été établie par la prudence des hommes, mais par le Christ ; ainsi que Dieu le montre lui-même. Et parce que les œuvres du Christ ne défaillent pas mais croissent sans cesse, Dieu a accompli cette œuvre, puisqu’à la communauté des hommes simples des savants n’ont pas dédaigné de se joindre, attentifs au mot de l’Apôtre : « Si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il se fasse fou pour devenir sage ». Pour le lecteur attentif de la Bible, qu’est Bonaventure ce qui fait sens c’est l’accomplissement progressif des promesses divines, d’où une lecture « apocalyptique » : l’intégralité du parcours comme chacune de ses étapes ne prend sens qu’à partir de l’accomplissement de la promesse, à la fin ; le développement de la « religion » du bienheureux François ne relève pas de l’habileté humaine, mais de l’action divine. Pour un « maître », entrer chez les Mineurs c’est descendre parmi les simples, accepter un déclassement social et accéder à la sagesse de la croix avec Paul. Une telle interprétation permet sans doute de mieux saisir comment Bonaventure appréhende et relit la vie de François et l’histoire des frères. Le développement et l’évolution de la Fraternité Franciscaine est une participation actuelle à la fécondité de l’Église en ses débuts. Une perception qui témoigne d’une grande sensibilité à l’histoire du salut et à l’inscription de la fraternité dans celle-ci.

4- L’expérience de la puissance salvifique de la croix

Partageant une expérience encore plus intime Bonaventure témoigne de la force libératrice de la Croix qu’il a pu mesurer lors d’une étrange expérience : se sentant saisi à la gorge par le démon et menacé d’étouffement, il s’en allait… Saisi par la peur de la mort, le souvenir de la Passion est monté en lui avec une force et une insistance puissante, se transformant en ardente supplication et en vif désir d’entrer dans la vie. Il mesure en retrouvant son souffle lorsque le démon relâche son étreinte, la puissance de vie du mystère pascal et l’importance de s’y ouvrir pour accéder au salut. Souvenir de la passion largement cultivé dans les méditations de l’Arbre de vie.

5- Le programme spirituel

Dans une lettre adressée à un confrère ami, reprenant la matière d’un entretien spirituel antérieur, il rappelle combien l’invitation du Christ « Venez à moi vous tous qui ployez sous le fardeau et je vous soulagerai », rejoint les désirs intimes de l’homme et lui révèle la profondeur de la miséricorde divine. Il indique ensuite les 25 points de vigilance qu’il s’était donné pour soutenir l’authenticité de sa réponse. Le temps qui lui a été redonné dans la guérison n’en reste pas moins compté et Bonaventure s’ingénie à lui faire produire de bons fruits. Management spirituel oblige, mais c’est dans « La joie d’approcher Dieu »

frère André Ménard, 15 juillet 2010