Rassemblement traditionnel de la vie franciscaine, le chapitre des Nattes a réuni, du 23 au 27 octobre 2023, trente-sept frères capucins de toute la France. L’occasion pour ces religieux de 26 à 93 ans d’échanger sur des sujets aussi sensibles qu’essentiels à l’avenir de leur Province. Retour sur cet événement mémorable, qui continue de marquer en profondeur les cœurs et les esprits.
Il s’est déroulé à huis clos, loin du bruit du monde, des paroles et des images. Il aurait pu, on le sait, être vite oublié une fois les quatre jours achevés. Oui, il aurait été facile de rentrer chez soi, et de refermer sur ce chapitre des Nattes les épaisses portes des fraternités capucines. Et pourtant. Cette année, une grâce s’y est laissée attraper. “On l’a tous senti, il y a eu un avant et un après”, confesse-t-on joyeusement dans les couloirs des couvents. Aussi faut-il le raconter.
Une communion renforcée
Ils arrivaient de Clermont, de Paris, d’Angers ou même de Bron. Certains sereins et confiants, d’autres agités ou dubitatifs, tous conscients, cependant, des grands défis qui doivent durant quelques jours être abordés. Il faut dire que les sujets sont délicats, et opposent différentes visions de l’avenir des Capucins en France. Où, et comment vivront demain ces disciples modernes de François d’Assise ? Que faire du patrimoine immobilier, alors même que le nombre de Capucins en France décroît année après année ? Pour ces frères aux personnalités et aux convictions variées, le sujet est politique. Il s’agit, pour quelques jours seulement, de préparer l’avenir.
Mais d’abord, asseyons-nous ensemble et prions un peu. Le temps d’oraison, perle de lumière à l’aube de chaque journée, devient pour ces Encapuchés un moment fondateur. Un espace reposant et privilégié, où la riche vie intérieure de chaque frère se laisse entrapercevoir, pudiquement, dans le silence. On pense alors avec joie, dans la chapelle, ce qu’on ne veut dire à voix haute : “On se sent faire partie d’un même corps”.
Plus tard, dans la salle du chapitre, on se rassemble en arc-de-cercle, “pour mieux se voir et échanger”. Heure après heure, on s’étonne du ton et de la maturité des discussions. Du pragmatisme sans jugement de son voisin. Du sens des responsabilités de celui qui prend la parole, là, à l’autre bout de la pièce. Depuis le dernier chapitre, voit-on, les plus jeunes bures ont intégré dans leur vision de nouveaux aspects du charisme capucin. Certains anciens, de leur côté, se sentent rassurés – quoi que réserve l’avenir, leur Province demeure d’accord sur l’essentiel : la minorité et la fraternité. On se regarde, on s’écoute. Et on le reconnaît : on se sent faire partie d’un même corps.
Faire corps à partir de la souffrance
Et puis il y a cette demi-journée, arrivée en bout de semaine presque par surprise pour les participants. Une rencontre décisive, qui apporte à elle seule clarté et profondeur aux échanges entre les religieux de saint François. Celle d’une personne victime d’abus, venue témoigner avec son mari de sa souffrance devant l’ensemble de la communauté. Face aux ravages perpétré par un frère capucin aujourd’hui décédé, la parole de cette femme interpelle et questionne. L’assemblée est prise à partie, déplacée ; on se sent ému un peu, triste, sûrement. Ce moment “nous a réveillé sur l’importance de faire pénitence”, glisse-t-on. Tous, frères de ce frère disparu, se sentent dépositaires d’une histoire commune. Et en cela, estiment certains, co-responsables du péché commis. Expérience transformatrice, qui replace chacun devant sa propre conscience.
Reste, pour la victime, le besoin d’être entendue et reconnue par l’ensemble de la communauté. Ici, l’écoute profonde et fraternelle de chacun, dans cette salle du chapitre des Nattes, tape droit au cœur. Ces échanges, auxquels les frères ne s’attendaient pas, renvoient le groupe à sa propre identité. Oui, nous formons un corps. Alors “que pouvons-nous aujourd’hui apporter au monde ?”, semble demander les regards. “Frères de tous et frères du peuple” : comment incarner cet idéal de vie franciscaine ? On leur répond : soyez des frères, vivez en frères. Le conseil est laissé là, sur la table, pour l’avenir.
Et Après ? Regarder l’avenir avec espérance
Que restera-t-il du chapitre des Nattes ? Aucun vote, aucune annonce fracassante ne sont venus conclure ces quelques jours de retrouvailles. On est retourné chez soi, à Clermont, à Paris, à Angers ou même à Bron, en voiture, en train, seul ou avec ses frères. Mais c’est au creux de l’ombre, dit-on, que se révèlent souvent les plus simples lumières. Ainsi reste-t-il de façon évidente une joie, profonde et partagée. “C’est sans doute le meilleur chapitre que j’ai vécu”, reconnaît l’un discrètement. “Cette expérience traversée entre Capucins restera pour toute la vie”, admet un autre.
Oui, il y avait un avant, il y aura un après. Peut-être reste-t-il, entre les deux, cette prise de conscience que l’avenir reste à écrire. Cette espérance profonde, aussi, que l’on est frères. Et que cette fraternité si particulière continue de porter le monde.
– Claire Riobé, journaliste