C’est le drame de la méchanceté et de la bêtise. Peut-être même, personne ne voulait vraiment aller jusqu’au bout, mais sa disparition arrangeait bien les choses. Drame de la méchanceté ordinaire, de la trahison par les amis qui veulent sauver leur vie quitte à ce que la sienne soit perdue. Drame d’une liberté que personne n’est prêt à assumer jusqu’à la mort. Alors, on laisse crever le meilleur ami quitte à demeurer esclave.
Ce qui s’est passé ce vendredi du Mont du Crâne n’a pas eu l’ampleur horrible de la Shoah ou du génocide rwandais. Il ne s’agit certes pas de hiérarchiser les violences, mais seulement de reconnaître la violence ordinaire de nos vies, la banalité du mal, histoire de rester sur les pieds sur terre : nous aurions été capables nous aussi d’aller jusque là dans l’abandon de Jésus.
Ce n’est rien d’autre, si l’on peut dire, que le drame de l’indifférence ordinaire, de l’oubli des frères, de ces familles sans travail et sans logement, sans nourriture et dans la rue. C’est le drame de nos justifications, « qu’on les reconduise à la frontière », « on ne peut tous les accueillir », etc. etc. C’est le drame de nos médisances et méchancetés. Et bien sûr, à dénoncer ceci ou cela, nous ne faisons que servir la vérité. Nous voilà d’un seul coup défenseur de la loi !
Horreur d’une chronique inépuisable de violences ordinaires…
Alors là, nous sommes accablés car nous ne voyons même pas comment en sortir. Bien sûr, nous pouvons partager pain et argent. Bien sûr, nous pouvons arrêter la méchanceté et la médisance dévastatrices, homicides. Bien sûr, nous pouvons renoncer à nos justifications et nous découvrir nus comme le crucifié du calvaire et le roumain du quartier.
Ce n’est déjà pas mal. Mais cela ne résout pas tout aussi indispensable que ce soit. Nous sommes accablés. Se pourra-t-il qu’un jour on en finisse de la mort et de la méchanceté, même la plus banale ? Se pourra-t-il qu’un jour nous soyons vraiment frères ?
Ce Seigneur qui pend au gibet pourra-t-il percer l’épaisseur des ténèbres ? Ce soir, il est impossible de répondre. Nous serions menteurs à dire que tout va très bien, qu’il est ressuscité alors que rien n’a changé. Nous le ferions menteur à ne faire de sa mort qu’une péripétie en attendant l’aurore pascale. Le psaume nous accompagne comme méditation jusqu’à la nuit sainte, nous accompagne dans la nuit qui dure encore : ma compagne, c’est la ténèbre.
Patrick Royannais