Guillaume Maréchal, 32 ans, a entamé en décembre 2023 un périple en Inde, à la recherche du Dieu caché. Ce chrétien, qui a découvert il y a quelques années la spiritualité de saint François d’Assise, nous partage son périple de trois mois et sa rencontre avec les frères Capucins d’Akuluto, dans l’Etat du Nagaland. Il tente de qualifier l’ « esprit franciscain universel » qu’il a découvert au fil de sa route et de ses rencontres. Nous le remercions pour son témoignage vivant et profond, que nous publions tel quel ci-dessous.


« Je ne peux parler que de ma récente expérience de la découverte de la spiritualité franciscaine, aux côtés des frères de Paris, de Vézelay, de Besançon, de Bruxelles, mais aussi d’Assise, de Greccio et de la vallée de Rieti. Mon impression est que c’est le même esprit de fraternité, [qui se traduit par] un accueil chaleureux, généreux, joyeux et inconditionnel qui caractérise également la branche capucine Indienne du Karnatacka et du Nagaland.

Qu’est-ce qu’être un missionnaire au XXIe siècle ? Comme l’imaginaire me l’avait laissé supposer, c’est une mission qui porte bien son nom car c’est bien l’aventure au bout du monde, dans des villages seulement atteignables en 4×4, sans aucune route goudronnée. Les frères en mission sont très souvent des enseignants, palliant ainsi du mieux qu’ils peuvent le système éducatif en place et ses nombreuses fraudes qui placent dans les écoles, des professeurs qui n’en sont souvent pas.  

Déconstruisant certains préjugés que l’on pourrait justement avoir, nous avons constaté avec joie que ces missions respectent les traditions et la culture des peuples autochtones. A bien des égards, les Franciscains se présentent comme un rempart à l’amnésie de la tradition, qu’a favorisé la mondialisation et la standardisation qui touchent même les villages du bout du monde, où smartphone et internet sont omniprésents.

Sur le versant nord de la colline d’Akuluto, où l’hiver le soleil ne fait qu’une brève apparition, nous sommes accueillis dans cette fraternité de 3 capucins, accompagnés comme souvent en Inde de deux cuisinières. Cette vie fraternelle, en petite communauté, me rappelle les premiers apôtres [envoyés] deux par deux de part le monde, vivant dans une simplicité et un accueil évangéliques.

Nous aurions pu regretter d’arriver en pleine vacances d’hiver et ne pas partager le quotidien des élèves de la St Claire School, mais nous avons préféré nous réjouir d’avoir le temps de visiter d’autres fraternités franciscaines, différentes congrégations de sœurs ainsi que de nombreuses familles des villages, accompagnés de notre frère gardien, expert en communication digitale, Fr Stephen.

Quelle richesse pour nous que d’accompagner Fr Stephen et Fr James, prier avec chaque famille du village qui le demande, nous accueillant chez eux avec cette générosité et cet accueil souvent caractéristiques de l’Orient ! Ne partageant pas la même langue, la prière nous unit tout de même et la joie qui illumine nos regards compense l’absence des mots. Car si Dieu est parole et verbe, il est aussi communion silencieuse entre personnes réunies en son nom.

Un soir, après un moment de partage silencieux, alors que nous allions quitter sa maison, une femme se dirige soudainement vers sa boite à bijoux, et tend à Victoire deux boucles d’oreille traditionnelles de sa tribu. Elle rit et se couvre la bouche, surprise elle-même de sa propre générosité. Comme ce fut le cas ce soir-là, nous repartons souvent avec des cadeaux, dont le don spontanée est merveilleux car il révèle l’autre dans toute sa splendeur et l’embellit dans sa joie d’offrir.

Je me rappelle les paroles d’un frère à Assise « la clé c’est d’être suffisamment pauvre pour permettre à l’autre de donner, et de s’accomplir ». Et pauvres, nous l’étions là-bas, car notre monnaie n’avait pas cours, notre argent n’intéressait personne. Nous étions dépendants de tous, si pauvres loin de chez nous. Ce fut une sensation incroyable car chaque jour nous étions confrontés à la générosité de l’Homme. Lorsque l’on arrête de se comparer aux autres, et que l’on prie ensemble, tous petits face à Dieu, nous sommes tous égaux, si pauvres dans notre humanité, mais si riches de cette communion fraternelle.

Et quand, dans mes heures sombres, me rappelant la misère de Calcutta, les bidonvilles de Mumbai, mais aussi la violence de nos rues françaises, je ne peux m’empêcher de me demander « mais qu’est-ce que l’homme ? », je me rappelle ces moments de prières dans la simplicité d’une famille Naga et de la voix de Fr Stephen. Je repars alors en joie, avec cette lumière qui éloigne les sombres pensées, en étant apaisé d’avoir choisi la foi contre l’absurdité.

La cerise sur la gâteau, pour les 800 ans de Greccio, fut d’assister à quatre messes de Noël avec différentes tribus Naga. Il me semble important de préciser que le Nagaland pourrait rivaliser avec toutes les régions du monde dans leur inventivité pour construire de grandes et magnifiques crèches. Quel accueil et quelle joie, pour un véritable Noël où, sans un cadeau à s’échanger, nous avons tout mis en commun, pour partager le pain. Ce soir-là, Jésus est véritablement né dans nos vies, se révélant à nous par l’amour qui se donne et qui se multiplie, sans jamais se soustraire. »