« Tous les frères, je veux fermement qu’ils travaillent à un métier honnête. » Suivant l’indication de saint François d’Assise dans son Testament, les Capucins ont, dès leurs origines, cherché à allier une vie de prière à une vie d’action dans la société. Certains, en s’orientant dès le XIXe siècle vers des métiers de maintenance ou de production, ont cherché à annoncer l’Evangile dans des lieux souvent éloignés de l’Eglise. Frère Sébastien Picard, Capucin de la fraternité de Bron (banlieue lyonnaise), revient sur ses années comme frère jardinier. Son expérience nous donne à découvrir l’une des expressions contemporaines de l’intuition de François d’Assise.


« Comment suis-je devenu jardinier, alors que rien ne m’y prédisposait, entre autres mon milieu familial ? Après le baccalauréat et deux années passées au grand séminaire de Versailles, des frères du Prado m’ont dit que si je voulais devenir religieux, il fallait que j’acquière une formation professionnelle. Sage décision. Attiré par la nature, je me suis inscrit à la F.P.A. (formation professionnelle accélérée pour adultes) comme ouvrier horticole. C’est ainsi que durant une année, ou plutôt quatre saisons, j’ai suivi une formation de jardinier à Lardy, au sud de Paris, [qui] m’a permis d’obtenir un minimum de base pour pouvoir travailler dans ce secteur. C’est avec ce diplôme en poche que je suis rentré chez les Capucins.

Mon premier employeur, bien des années plus tard, fut l’hôpital de Saint-Etienne, où j’ai intégré, à mi-temps, l’équipe des jardiniers durant 3 ans. Cela m’a été bénéfique, car on m’a appris d’autres bases indispensables à ce métier. Ensuite, comme on m’a donné des responsabilités dans la formation des frères après le noviciat, et que j’étais pas mal engagé à ATD Quart-monde et dans la pastorale des ZUP [Zone à urbaniser en Priorité, ndlr] et des quartiers populaires, j’ai trouvé du travail en chèque emploi-service chez des particuliers à Saint-Etienne. J’ai travaillé successivement là-bas, puis à Montpellier et à Villeneuve-Saint-Georges. Ainsi, je n’étais pas astreint à des horaires stricts, les négociant avec mes employeurs. A 68 ans, j’ai pris ma retraite.

En quoi consistait mon travail ? A l’hôpital, c’était d’entretenir le parc : tondre les pelouses, bêcher les nombreux massifs lorsqu’il fallait planter de nouvelles fleurs, élaguer les arbres des allées, tailler les arbustes, les rosiers etc… Chez les particuliers, c’était des travaux similaires avec le but d’embellir le plus possible les jardins, mais sur des surfaces beaucoup plus petites.

Pourquoi aller travailler à l’extérieur ? Une des raisons de mon entrée chez les Capucins a été de rencontrer le petit monde du travail et quoi de mieux que de travailler avec eux, parmi eux. Je me retrouve pleinement dans cette phrase du Testament de François : « Pour moi, je travaillais de mes mains et je veux travailler ; tous les frères, je veux fermement qu’ils travaillent à un métier honnête ! ».

De plus, [travailler comme jardinier] a été ma manière à moi de contribuer à l’économie de la fraternité, car jusqu’à preuve du contraire, l’argent ne tombe pas du ciel. Ce travail, je l’ai partagé avec ma vie en fraternité et mes engagements à l’extérieur (ATD quart-monde, plus la pastorale des ZUP et des quartiers populaires à St Etienne, l’aumônerie des gens du voyage par la suite). Il m’a procuré un bon équilibre, car travailler la terre, les fleurs, les arbustes, outre une bonne dépense physique, procure une certaine paix intérieure malgré les périodes où j’avais mal au dos et aux genoux. De plus chercher à harmoniser les couleurs des différentes fleurs au sein d’un massif à la verdure plus ou moins chatoyante, était pour moi un grand plaisir. [Les fleurs], cela me changeait des tas de ferraille que je trouvais sur certains terrains de Gens du voyage, couverts de flaques d’huile.

Aujourd’hui, est-ce que je suis écologiste ? D’esprit peut-être, mais pas de formation. Je m’en suis aperçu lorsque à Crest [Drôme, région Auvergne-Rhône-Alpes, ndlr], j’ai rejoint une équipe d’« Eglise verte », un mouvement œcuménique reconnu par l’Eglise. S’y trouvaient des pasteurs, un spiritain et surtout des artisans, un agriculteur et des personnes travaillant ou ayant travaillé comme institutrice ou dans le social comme infirmière. J’ai vite compris que je devais me mettre à leur écoute, car je n’avais pas les enseignements suffisants sur le plan chauffage, électricité, bâtiment, contrairement à eux. Pareillement au sujet de la culture biologique. Aussi, après la décision de fermer Crest, je suis redevenu ce que j’étais auparavant : un jardinier sans prétention, aimant joindre l’harmonie à la beauté des plantes, avec comme toile de fond un engagement apostolique et social auprès des milieux défavorisés. » Fr Sébastien Picard