Les frères Antonio Adnane, Yves Ligneau, Marie-Nicolas Vanacker, et Sylvain Besson ont fait leur profession solennelle ce samedi 1er juillet 2023, à l’église parisienne Saint-Jacques du Haut-Pas. Récit.
« Ce que l’on dit de quelqu’un rend difficile de le voir », écrivait Christian Bobin. Il est pourtant de certaines personnes, et de certains moments, qu’il faut essayer de raconter. Il faut pour cela tendre l’oreille. Tenter de percevoir, au-delà de l’excitation de la fête, toute la profondeur de l’engagement se jouant sous nos yeux. Plisser les paupières, et regarder par-delà la foule, les caméras, l’encens. Vouloir attraper, à travers la joie et la solennité du rassemblement, quelque chose de la grâce qui travaille cet après-midi les quatre cœurs emburés. Petit miracle du don de Dieu.
Folie pour le monde
Être serviteur
C’est un aboutissement, et c’est un commencement. Hier, ils rêvaient peut-être d’une carrière, d’une famille, de voyage. Aujourd’hui, ils ont trouvé plus grand que leurs rêves, ils ont touché du doigt la vie en abondance. Ils promettent l’obéissance, la pauvreté et la chasteté. Et connaissent bien sûr la longueur du chemin, son étroitesse parfois, ses embûchent et ses racines. Mais cette vie, où la vulnérabilité se laisse traverser en communauté, ils la choisissent librement. Si librement. Un mystérieux trésor y réside, comprend-t-on en les regardant.
Tout tient peut-être dans cet hymne, « Le serviteur », doucement entonné par les chanteurs dans les bas-côtés de l’église, avant le rite de la profession. « S’abaisser au rang de serviteur, c’est répondre à l’appel du Seigneur. Devant Dieu le Père, il n’est rien de plus cher qu’une vie donnée pour servir ses frères. » Cette promesse, c’est celle de se dépouiller pour servir la société et le monde, en frères mineurs. C’est se faire petit et changer de centre de gravité : non plus soi-même, mais le Christ.
« Me voici »
Vient ensuite l’appel tant attendu, au pied de l’autel. Le « Me voici », que l’on entend quatre fois résonner dans l’allée silencieuse. Puis la prostration, où l’Église du ciel et de la terre suspend son souffle. Ce qui se passe alors dans le secret de ces quatre cœurs, nous ne le saurons jamais. Le commencement est là, dans le silence de Dieu. Devant ces hommes allongés en croix, une émotion se laisse pourtant saisir, difficilement contenue depuis l’assemblée. « Et moi, se demande-t-on, suis-je digne de cette vie dont ils font l’offrande ? »
Arrive enfin ce geste, les mains jointes des frères dans celles de leur Ministre provincial, Frère Eric Bidot. Un signe de confiance extraordinaire, qui réaffirme l’engagement symbolique de la vie d’un homme pour sa communauté. Peu de paroles s’échangent, mais elles donnent ce qu’il faut de vérité pour que nous en saisissions l’essentiel.
Ne reste alors plus que la joie, débordante et contenue à la fois. On se lève, on chante, on s’embrasse en riant. Ils le savent, et nous les croyons : le meilleur est à venir. « Vivons-le : vivons la grâce qui nous est donnée d’être des vivants ! », lance l’un des quatre en souriant. Et nous, nous essayons de tendre l’oreille, de plisser les paupières, de percevoir. Cet engagement est peut-être une folie, oui. Il n’en reste pas moins un témoignage puissant d’espérance et de confiance, dans ce monde qui a tant soif de Dieu.