A l’occasion de la profession solennelle de frère Marie-Geoffroy à Clermont-Ferrand, des jeunes ont pu recevoir l’enseignement de frère Éric Bidot sur la pauvreté. En voici quelques citations.
Dame Pauvreté
Quand vous êtes à la basilique inférieure d’Assise, avant d’aller au tombeau, il y a le maître hôtel et la petite grille où les pèlerins, avant, faisaient la vénération à la tombe de Saint-François. Au-dessus, il y a Saint-François en diacre, en gloire. Enfin, il y a les trois allégories de la chasteté, de l’obéissance et de la pauvreté. Celle de la pauvreté, est en face de François.
Allégorie de la Chasteté, Giotto, 1334.
Allégorie de l’Obéissance, Giotto, 1334
Allégorie de la Pauvreté, Giotto, 1334
Elle est présentée sous les traits d’une femme malingre avec une robe déchirée, entourée de ronces, parce que personne n’a envie de l’embrasser. La scène représentée, est celle du mariage mystique de François avec dame pauvreté. Ils font un échange d’alliances et le Christ bénit leur mariage. On a appelé ça : les épousailles avec dame pauvreté.
Comme dans un couple, il faut apprendre à se connaître, à connaître l’autre, à connaître la pauvreté. La pauvreté paraît rebutante dans un premier temps, mais finit par se présenter autrement et par se rendre même désirable.
Dieu est pauvreté
Paul écrit la lettre aux Philippiens, en prison, près d’Ephèse. Elle est une forme de testament et on pourrait dire un peu que sa thématique, au chapitre troisième, est plus qu’une béatitude. Elle est l’affirmation simple que « Dieu est pauvreté.
Réfléchir à la pauvreté, au détachement, à l’esprit franciscain, c’est d’abord prendre le temps de contempler en Dieu en lui-même. Il est pauvreté parce qu’il est Père, Fils et Saint-Esprit et qu’à l’intérieur de la Trinité, chacune des personnes se vide totalement pour que l’autre ait la vie. Le père se vide totalement dans le fils qui se reçoit totalement du père et cette relation est subsistante, c’est l’Esprit Saint. Donc on pourrait dire que chaque personne de la Trinité est pauvreté parce qu’elle est en référence à une autre personne, en relation à une autre personne. C’est crucial pour notre tradition franciscaine.
Théologie en trois mots
Saint Thomas d’Aquin va commencer sa somme théologique par De Deo ut Uno. C’est-à-dire qu’il commence par l’unité de Dieu. Bonaventure va commencer par De Deo Trino. Dieu est d’abord relation. Ce point de départ change tout, même s’il s’agit de la même foi. Nous avons besoin de Thomas et de Bonaventure. Dans notre tradition franciscaine, nous insistons sur la Trinité de Dieu au point de départ. Cela dit tout de la manière dont François a cherché à vivre en relation et en particulier avec, comme référence, Jésus et Jésus seul. Et Jésus dans son abaissement à la crèche et jusqu’à la croix.
Connaissance
François, à la fin de sa vie, est stigmatisé, les yeux malades qui pleurent, le corps décharné par le jeûne. Un frère lui propose de lui lire l’écriture et François dit : « Maintenant, je n’en ai plus besoin parce que je connais Jésus au nom du crucifix. »
« Je connais », ça veut dire, non seulement, « je suis un intime », mais « je colle tellement à Jésus que c’est Jésus en moi ». Nous comprenons que la stigmatisation, c’est Jésus qui marque, qui vient mettre son empreinte pour dire que François est devenu un autre Jésus en quelque sorte.
Imiter et connaître
Il faut faire la différence entre imiter et connaître. Imiter, c’est se repérer, se familiariser avec. Mais pour connaître Jésus, on ne le regarde pas seulement de loin, on se laisse transformer, pour voir, de plus en plus, à partir de lui et comme lui. On apprend l’imitation par la vie fraternelle, la vie de prière, la vie sacramentelle, les enseignements, l’intelligence, le cœur, l’affectivité, l’âme… On apprend les mœurs de Dieu. De cette imitation, petit à petit, par l’intimité avec Jésus, on apprend, on reçoit la connaissance de Jésus, pauvre et crucifié. Connaître Jésus, pauvre et crucifié, c’est une autre manière de parler de la conformité.
De Narcisse au dessaisissement de soi
Le livre de Jean-Marc Charron, intitulé de Narcisse à Jésus, la quête d’identité chez François d’Assise parle aussi de la pauvreté. Passer de l’imitation à la connaissance, c’est aussi passer de « moi, je vais vous dire ! » à « j’ai tout à apprendre. ».
C’est à travers les échecs qu’a rencontrés François, à travers la découverte de Jésus qui se fait proche de lui, que petit à petit, François va passer de cette recherche excessive de soi, au dessaisissement de soi. Et le dessaisissement, c’est la relation, c’est apprendre à mettre l’autre avant soi. La question de la pauvreté pourrait se réduire à ça : « Pas d’abord mon image, pas d’abord mes liens, mais l’autre d’abord. » La rencontre de François avec le lépreux, avec le crucifix de Saint Damien, avec toute la création, tout cela se comprend dans cette recherche. François parle aux oiseaux, au feu, à la nature parce qu’il reconnaît la place de chacun, l’identité de chacun. Il ne se considère pas en surplomb, mais « frère mineur » . C’est plus simple. C’est simplement celui qui choisit de se faire plus petit que lui.
Cet après-midi, le frère Marie-Geoffroy mettra ses deux mains dans celles du ministre provincial pour dire, je remets ma vie à cette fraternité, c’est-à-dire à Dieu, par cette médiation. Finalement, ce geste dit tout.