« Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom. » Voilà les quelques mots de l’évangile du temps pascal qui justifient que l’on prie aujourd’hui pour les vocations. Juste quelques mots qui libèrent beaucoup de douceur, d’affection. Ce sont « ses brebis, à lui » ; non seulement il les appelle, mais « il les appelle chacune par son nom ».
Et à quoi les appelle-t-il ? A sortir. Le texte ne précise pas où ni pourquoi. « Il les appelle chacune par son nom et il les fait sortir. » C’est le verbe de la Pâque, de la sortie d’Égypte, du salut. Il les appelle pour la vie. C’est exactement ce que dit notre dernier verset : « je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance ».
Quand Jésus appelle les hommes, chacun par son nom, il ne les appelle pas à faire partie de l’Église, il ne les appelle pas à être chrétiens. Jésus nous appelle à la vie, il est venu pour que nous ayons la vie, et non seulement la vie pour survivre, mais la vie en abondance ! A poursuivre la réflexion, ne risque-t-on pas de brouiller la compréhension de l’évangile, tant ignoré : « je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance ».
L’Église a reçu la vocation, c’est-à-dire la mission, d’appeler, au nom de Jésus, les hommes chacun par leur nom pour qu’ils aient la vie en abondance. Que chacun fasse son examen de conscience. En quoi suis-je partenaire de la mission de l’Église ? En quoi est-ce que je réponds à la vocation de servir pour que l’Église serve ? En quoi suis-je au service de la vie des hommes, de la vie de chacun, appelé par son nom ? En quoi suis-je au service de la vie de chacun en abondance ?
Ne croyez-vous pas que si nous savions traduire l’évangile en service de la vie en abondance, cet évangile serait un peu mieux reçu que les jugements de morale sexuelle, les disputes sur le culte, la protection d’un droit et la curiosité d’une tradition quasi folklorique ?
Nous savons désormais ce que signifie la vocation de l’Église, la vie du monde, la vie en abondance. Pourtant, lorsque nous parlons de vocations, nous allons chercher des choses extraordinaires. On interroge les initiatives nouvelles, parce que la nouveauté intrigue dans une Église qui paraît vieille et fatiguée. On veut de l’extraordinaire et du merveilleux.
Mais que dit l’évangile ? La vie, la vie en abondance ! La nouveauté n’importe pas, parce que chaque nouveauté est déjà trop vieille. Nous sommes dans la foi comme ceux que nous critiquons avec la mode, le zapping du up to date ! Or ce qui importe, c’est la fidélité, la durée dans le service de la vie en abondance. Ceux qui ont donné la vie savent que le service de la vie, ils y sont engagés pour des années ! Parler de vocations, ce n’est pas s’enquérir de nos petites biographies ; cela concerne le service de la vie des autres. Parler de sa vocation, ce n’est pas parler de soi, mais de ceux au service de la vie desquels on se porte. Assez de l’autoglorification ecclésiale. Les héros de l’évangile ne sont pas les missionnaires, mais ceux auxquels ils sont envoyés.
La crise des vocations n’est pas une question de manque de prêtres ou de religieux et religieuses. Quand l’Église veut vraiment appeler, elle y parvient. Vous notez, on trouve autant d’évêques qu’on veut. Là, s’il y a la crise, il ne s’agit pas d’une pénurie ! La crise des vocations est crise de notre foi. Nous voulons des héros de l’évangile, il s’agit que chacun de nous, appelé par son nom, se mette au service de la vie, de la vie en abondance.
Pas sûr qu’il faille s’affoler du petit nombre de prêtres. On saura toujours ordonner quelques fonctionnaires du culte, comme on ordonne des évêques, indépendamment des compétences, mais parce que, dévots de la magie sacramentelle, nous réclamons des sacerdotes. Et le problème est bien mis en évidence quand on est conduit à définir l’ordre par le pouvoir de célébrer les sacrements !
Plus grave le petit nombre de religieux et religieuses. Parce qu’eux ne servent à rien, sont témoins de la gratuité, sont les excitateurs des autres baptisés pour le service. Qui veut servir ? Qui veut perdre sa vie ? Je veux dire ne plus la posséder, ne pas la réussir selon nos critères. « Qui veut sauver sa vie la perdra. » La difficulté c’est de faire d’une grande école, d’études prestigieuses, un chemin pour donner sa vie, la perdre, pour servir. Reconnaissez que ce n’est pas gagné !
Mais voilà un discours que personne ne peut entendre. Alors on préfère la mythologie de la vocation, un appel extraordinaire, qui vient de Dieu. « Le choix de Dieu ». Que surtout cela ne tombe pas sur nos enfants, quand on sait comment l’on traite les prêtres, comment ils sont payés, ce que signifie l’obligation du célibat ! Ce mercredi, j’ai demandé aux enfants de mon groupe de caté, après avoir raconté les histoires d’Abraham, Moïse, Jonas, Jérémie, Samuel, Marie et Paul, chaque fois appelés, s’ils sont appelés eux aussi. Les enfants, malgré les sept exemples, à cause des exemples, ne comprennent pas. Que Dieu appelle ne fait pas sens pour nous, seulement pour l’extraordinaire.
Plutôt que de parler des vocations, pour surtout n’en pas parler, pour discréditer la question, revenons à l’évangile. C’est lui qui nourrit. C’est lui qui donne soif. C’est lui qui embrase, avec l’amour des frères. C’est parce que nous nous considérerons comme appelés, nous – et non les extraterrestres qui sont dans les communautés ou séminaires ‑ c’est parce que nous serons au service de la vie, de la vie en abondance, pour répondre à cet appel du Seigneur, que nous pourrons laisser entendre que perdre sa vie pour que les autres la gagnent, est le service de la vie en abondance. Soyons amoureux de la vie en abondance, et les vocations ne manqueront pas. C’est parce que nous ne sommes pas les amoureux de la vie en abondance que les vocations s’éteignent.
Patrick Royannais